L’article de Anaïs Condomines « Un rapport médical prouve-t-il que la boxeuse algérienne Imane Khelif est un homme ? » paru sur Libé le 7 novembre est problématique à bien des égards.
En prétendant éclairer la question complexe des DSD (Disorders of Sex Development), l’autrice finit par semer la confusion, que ce soit par ignorance, par une interprétation confuse des propos d’un spécialiste, ou peut-être par une volonté délibérée de brouiller les pistes. Qu'il s'agisse de la maladresse de la journaliste ou d'un discours biaisé du spécialiste interviewé, l'effet est le même : des amalgames sont faits entre des conditions médicales distinctes telles que le déficit en 5-alpha réductase (5-ARD) et le syndrome d'insensibilité aux androgènes (CAIS). L’ambiguïté dans l'exposition et l'absence de rigueur dans la distinction des deux syndromes contribuent à nourrir la confusion, renforçant ainsi des idées fausses qui perpétuent la désinformation, que ce soit intentionnellement ou non.
Examinons le passage technique d’un peu plus près :
« L’AMH (hormone anti-müllérienne) provoque l’absence d’utérus, mais la testostérone n’est pas, dans ce cas, capable de viriliser les organes génitaux externes. Pour ceci, il faut que la 5 alpha réductase des organes génitaux transforme la testostérone en dihydrotestostérone (…) »
Oui, c’est précisément pour cette raison que les individus mâles atteints de ce DSD développent, à la puberté, un corps masculin entièrement virilisé, hormis la morphologie des organes génitaux externes. Ils ne présentent aucune différence notable avec les hommes non atteints quant aux caractéristiques physiques qui justifient la catégorisation sportive par sexe, avant même de prendre en compte le gabarit.
« …(DHT), qui a une activité androgénique beaucoup plus puissante que la testostérone.»
Et donc, malgré le déficit en alpha réductase, ces individus développent tout de même des testicules dont la capacité à produire du sperme varie ; certains peuvent être infertiles, tandis que d'autres ont une spermatogenèse réduite, ce qui peut compliquer la procréation médicalement assistée.
« “Il y a de nombreux exemples de femmes 46, XY avec des testicules.” Il cite alors plusieurs cas de déficits ou de personnes avec une anomalie du récepteur aux androgènes. » (La journaliste cite Rodolfo Rey, endocrinologue spécialiste des variations du développement sexuel qui se demande entre autre “Qu’est-ce qu’un homme ? On entre dans une discussion complexe, il y a certainement plus d’une définition”. Cela donne le ton)
Ici, il y a un glissement subtil mais un peu capital dans l’argumentation : la discussion passe du 5-ARD au syndrome d’insensibilité aux androgènes (CAIS) sans le mentionner (l’anomalie du récepteur aux androgène, il faut suivre, hé !) créant ainsi de la confusion entre ces deux conditions bien distinctes.
Encore une fois, le CAIS n’atteint que les mâles, tout comme le 5-ARD. Cependant, les mâles atteints de CAIS (46, XY) ne ressemblent pas aux mâles 5-ARD tels que Caster Semenya et Khelif. À la puberté, la testostérone est convertie en œstrogènes via un processus appelé « aromatisation », où l’aromatase transforme les androgènes en œstrogènes (estradiol et estrone) pour tous les hommes – en petites quantités ! Mais dans le cas des CAIS, comme le corps est insensible aux androgènes, les effets de la testostérone et de la DHT ne s'expriment pas, et les œstrogènes produits par l'aromatase dominent le développement pubertaire, donnant un aspect physique typiquement féminin.
Cela explique pourquoi les individus avec CAIS, bien qu'ayant un caryotype 46,XY et des testicules internes, présentent à la puberté des caractéristiques féminines dues à l'influence prédominante des œstrogènes non contrecarrée par l'action des androgènes.
Le résultat est un individu mâle avec des testicules internes, mais qui présente des structures et des tissus féminins : un vagin, une vulve et des lèvres majeures et mineures. Le vagin est souvent peu profond, il n’y a pas d’utérus ni de trompes de Fallope (l’AMH produite par leurs testicules en empêche le développement), et ils ont des testicules qui ne produisent pas de spermatozoïdes fonctionnels. Les œstrogènes, obtenus par aromatisation, induisent ainsi à la puberté un développement des tissus féminins, incluant une répartition de la graisse corporelle typiquement féminine et des tissus mammaires.
Ces individus sont infertiles mais ne pourraient être décrit comme des « femmes masculinisées/hyper-andogénisées » comme les personnes mal informées le font avec les mâles 5-ARD, car ils n'ont aucune caractéristique extérieure masculinisée.
Le consensus médical considère ces individus « femelles » en termes de tissus, tandis que les biologistes du développement les définissent comme « mâles », puisque sans l’insensibilité aux androgènes, leur développement aurait suivi le chemin typique d’un mâle.
Techniquement, un individu CAIS entraîné à un haut niveau n’aurait pas d’avantage par rapport aux femmes. Cependant, la catégorie féminine n’a pas pour vocation d’inclure des mâles DSD. Les femmes doivent avoir droit à leur propre catégorie protégée.
« Dans tous ces cas, les taux de testostérone peuvent aller de relativement bas à des taux très élevés, pourtant les organes génitaux externes peuvent être complètement féminins. »
Ceci est une généralisation erronée. Il mélange des DSD différents et affirme quelque chose d'inexact : les organes génitaux externes ne sont jamais complètement féminins dans les cas des DSD comme nous l’avons vu. Ils peuvent présenter des caractéristiques atypiques, mais l’aspect « féminin » sera en surface, et spécifique aux cas d'insensibilité complète aux androgènes (CAIS).
« Conclusion : dire que quelqu’un est un homme juste parce que le caryotype est 46, XY et que les gonades sont des testicules sécrétant de la testostérone est faux. »
Au contraire, dire qu’un individu est mâle parce que son caryotype est 46, XY et qu’il possède des testicules sécrétant de la testostérone est un fait biologique. Il s’agit d’une vérité factuelle.
Cependant, l’apparence extérieure et les caractéristiques physiques peuvent varier considérablement en fonction du DSD.