J'AI EU UNE MÈRE HÉLICOPTÈRE. J'AI QUAND MÊME TROUVÉ PORNHUB.
Par Isabel Hogben (16 ans) / 29 août 2023 / The Free Press
J'avais dix ans lorsque j'ai regardé du porno pour la première fois. Je me suis retrouvée sur le site Pornhub, que j'ai découvert par hasard et sur lequel je suis revenue par curiosité. Il ne vérifie pas l'âge, n'exige pas de pièce d'identité et ne me demande même pas si j'ai plus de 18 ans. Il s'agit d'une plateforme facile à trouver, impossible à éviter et qui constitue désormais un rite de passage fréquent pour les jeunes de mon âge.
Où était ma mère ? Dans la pièce d'à côté, elle s'assurait que je mangeais chaque jour neuf fruits et légumes de couleurs différentes. Elle était attentive, presque un parent hélicoptère, mais je suis quand même tombée sur du porno en ligne. Mes ami·es aussi.
Aujourd'hui, j'ai 16 ans et mes camarades souffrent d'une dépendance à ce que beaucoup appellent « la nouvelle drogue ». Le porno est un désastreux substitut de l'intimité pour ma génération sans sexe [qui a moins de rapports sexuels réels que les précédentes] et rongée par l'anxiété.
Tout d'abord, mettons-nous d'accord sur ce qu'est réellement le porno aujourd'hui. Lorsque je parle à des adultes, j'ai la nette impression qu'ils s'imaginent une bombe sexuelle en lingerie ou un mannequin à moitié nu sur une plage. Ce n'est pas ce sur quoi je suis tombée en CM1. J’ai vu des simulations d'inceste, de la bestialité (zoophilie), du bondage extrême, des relations sexuelles avec des femmes inconscientes, des gangbangs, du sadomasochisme et une violence physique insoutenable. Le porno que les enfants regardent aujourd'hui fait passer Playboy pour un catalogue de poupées American Girl.
On me dit qu'au vingtième siècle, moins explicite, les stars du porno avaient l'air humaines. Aujourd'hui, tout est faux : leurs seins, leurs fesses, leur plaisir. Même les érections sont artificielles. Le Los Angeles Times rapportait déjà en 2001 que Tyce Bune, un ancien acteur pornographique de Los Angeles, apportait chaque jour une « fiole de Viagra » au travail.
Mais le cerveau des adolescent·es et des préadolescent·es ne sait pas que tout est faux. Il croit dur comme fer à ce qu'il voit. Comme je l’ai fait. Ces fausses images sexuelles rendues artificiellement attirantes constituent ce que le biologiste néerlandais Nikolaas Tinbergen a appelé un « stimulus supranormal ». Lors d'une expérience, Tinbergen a créé de faux papillons femelles en carton, en rehaussant leurs couleurs vives, et a constaté que les mâles préféraient les leurres supranormaux aux vraies femelles qui s'agitaient devant eux.
C'est ce qui se passe lorsque nous sommes bombardés de faux stimuli. Notre cerveau forme de nouvelles voies et connexions — un processus appelé neuroplasticité — et à un moment donné, après une exposition répétée à un stimulus anormal, nous préférons les papillons en carton et les faux seins aux vrais.
Ce processus est particulièrement préjudiciable au cerveau de l'adolescent·e, en pleine croissance et obsédé par le sexe. Les stimuli artificiels peuvent saturer et déformer un jeune esprit avant même qu'il ne connaisse une expérience sexuelle réelle. De nombreux pornographes « sexuellement positifs » affirment qu'ils peuvent éviter cela en atténuant les artifices dans leurs vidéos. C'est le cas de l'actrice pornographique Stoya, qui a déclaré au New York Times qu'elle pensait que le porno pouvait être une bonne chose.
Si Stoya admet qu'elle est préoccupée par l'influence de son travail sur les jeunes (cela l'empêche apparemment de dormir), sa réponse consiste à rendre sa pornographie plus réaliste, plus centrée sur les femmes et plus contextuelle. Par exemple, Stoya fait l'éloge d'une pratique dans certains pornos BDSM (bondage, domination/discipline, sadisme et masochisme) qui encourage l’« aftercare », qui consiste essentiellement à ce que deux partenaires « prennent des nouvelles » l’un·e de l’autre après s'être mutuellement brutalisé·es au lit.
Comme c'est mignon.
Il n'y a pas de porno qui soit acceptable pour les enfants et les adolescents. Pas même le porno « féministe ». Voici pourquoi : une récente étude de l'université de Cambridge montre que les effets du porno sur le cerveau sont neurochimiquement identiques à ceux de la toxicomanie. Il s'agit d'une substance aussi dangereuse que les drogues illicites.
Lorsqu'une personne consomme une drogue qui crée une dépendance, une dose de dopamine, l'hormone du plaisir, est libérée dans la circulation sanguine. Le cerveau aime la dopamine et veut répéter cette sensation, ce qui entraîne un état de manque et, finalement, une dépendance. Selon une étude de l'université de Duisbourg-Essen, cette « hypothèse de la gratification » est à l'origine de la dépendance au cybersexe.
Mais certains individus, dont Nadine Strossen, ancienne présidente nationale de l'ACLU (Union américaine pour les libertés civiles), estiment que l'accès des mineur·es aux contenus pornographiques relève de la « liberté d'expression », soulignant que les jeunes ont un droit constitutionnel à l'information sur la santé sexuelle.
Ils ont tort. Le porno n'a rien à voir avec la santé sexuelle. Il ne s'agit pas non plus d'un « contenu ». Mais d’une substance.
Si un enfant commandait trois verres de vodka dans un bar, le barman s'y opposerait. Si un enfant demandait des cigarettes dans une station-service, le pompiste refuserait. Mais au moyen d’une simple recherche sur Google, un enfant a accès à des millions d'heures d'une substance dangereuse.
Avec cette même recherche sur Google, les enfants consomment des mensonges dangereux sur le plaisir sexuel. Une étude récente de la BBC portant sur 2 000 hommes britanniques âgés de 18 à 39 ans a révélé que 71 % d'entre eux avaient déjà bâillonné, giflé, étouffé ou craché sur leur partenaire pendant un rapport sexuel. Un tiers d'entre eux ont déclaré qu'ils ne pensaient pas à demander la permission avant de commettre ces actes.
Une étude de l'université de l'Indiana montre que plus une jeune fille est exposée tôt au porno, plus elle acceptera des comportements tels que l'étouffement, l'éjaculation faciale et la « fellation agressive » de la part d'un partenaire sexuel.
Pendant ce temps, des mannequins et des femmes entrepreneurs — des femmes que les petites filles admirent — affluent sur OnlyFans pour vendre des photos d'elles nues.
En bref, la plupart de mes ami·es pensent que ces choses sont normales.
La solution n'est pas le « bon porno », comme le prétend Stoya. L'Amérique a besoin d'une renaissance sexuelle — un changement social massif et à grande échelle du cœur et de l'esprit en ce qui concerne le porno, le sexe et la dépendance. Fight the New Drug (Combattre la nouvelle drogue) est une organisation non religieuse à but non lucratif qui apporte des réponses concrètes à ce problème.
Mieux encore, les législateurs commencent enfin à intervenir. Laurie Schlegel, représentante de l'État de Louisiane, a été l'une des premières législatrices à s'attaquer à ce problème. Son projet de loi imposait des exigences de vérification de l'âge à des sites comme Pornhub, ce qui a eu pour effet de faire chuter le trafic de ce site de 80 % dans son État. D'autres États lui ont emboîté le pas, des projets de loi de protection similaires bénéficiant d'un soutien bipartisan dans l'Arkansas, le Montana, le Mississippi, l'Utah, la Virginie et le Texas. Ces projets de loi sur la vérification de l'âge constituent un progrès et doivent être reproduits dans toute l'Amérique.
Les parents ne peuvent pas agir seuls. Les enfants d'aujourd'hui sont aussi aguerris à la pornographie en ligne qu'ils le sont depuis des années vis-à-vis de la nicotine et de l'alcool. Nous savons très bien comment contourner les bloqueurs de sites web et les systèmes de filtrage. C'est ce que j'ai fait, et mes ami·es aussi, même si nos mères ont fait tout ce qu'elles pouvaient pour nous protéger.
Isabel Hogben
(Photo illustration by The Free Press)