Au printemps 2025, quatre cas de féminicides et tentatives de féminicides adolescents secouent les établissements scolaires français. Il ne s'agit pas des violences masculines scolaires ordinaires, ouvertement tolérées et fallacieusement considérées comme « naturelles » par l'expression « boys will be boys ». Certes, la banalisation des violences masculines précoces s'inscrit dans le même continuum de permissivité et de laxisme éducatif accordé aux garçons, mais nous assistons désormais à un phénomène d'une tout autre ampleur.
Les féminicides sont aujourd'hui encore relégués au rang de faits divers, parce que la société patriarcale refuse de se regarder en face. Mais maintenant que ses rejetons tuent, va-t-elle enfin réagir ? Ces « drames » récents, variantes des « faits divers » tout aussi euphémistiques, sont des féminicides perpétrés par des adolescents. Des meurtres prémédités, explicitement motivés par la haine des femmes, nourris et radicalisés en ligne. Trois cas récents, et un quatrième cas borderline en témoignent.
Le 24 avril à Nantes, un lycéen de 16 ans poignarde à mort une camarade de 15 ans, en blesse trois autres. La jeune fille était l'une des rares à lui adresser la parole et à lui témoigner un peu de bienveillance. Très certainement à l'encontre de son instinct de préservation. Comme tant d'autres filles, elle a sans doute été façonnée par une éducation genrée qui l'a conditionnée à prendre soin des cassos masculins, à les ménager et à se soucier de leur mal-être. Jusqu'à en mourir.
Le 2 mai 2024, au lycée Urbain Vitry de Toulouse, un lycéen de Terminale de 18 ans a tendu un guet-apens à une élève de seconde afin de la poignarder. Il l’a blessée au bras avec un couteau dans le couloir du gymnase. Le motif avancé par l'agresseur était un refus de ses avances, autrement dit, un passage à l'acte de masculinité gynéphontique basique, où un homme attaque physiquement une femme pour avoir osé dire non. En Inde, on appelle cela des crimes d'honneur, toujours dans l'euphémisme ou le détournement du réel sujet.
Le 4 juin à Dijon, un lycéen de 17 ans est placé en garde à vue pour avoir publié sur les réseaux sociaux le projet de meurtre de l'une de ses camarades avec une hache ou un couteau, directement lié à l'idéologie incel. Il « avait indiqué sur un forum avoir renoncé à son projet, faisant référence aux actes de tueurs "incels", une abréviation anglophone pour "célibataires involontaires", désignant des hommes qui ont peu de succès auprès des femmes et se mettent à nourrir une haine à leur égard », précise l'AFP (cité par Le Progrès et le Journal de Saône et Loire, accédés via la BNF).
Ses prédécesseurs outre-Atlantique, notoires et plus âgés, sont Elliot Rodger en 2014 en Californie qui se rend devant une sororité dans le but d'y tuer les étudiantes, et qui débouté, va tuer deux autres femmes qui passent par-là (en blessant une troisième), avant d'entamer une errance meurtrière hasardeuse (bilan 6 mort·es 14 blessé·es), laissant un manifeste incel et des vidéos misogynes. Alek Minassian, qui a tué huit femmes et deux hommes (collatéraux) à Toronto en avril 2018 au nom de la « rébellion incel ». Scott Beierle, qui a tué deux femmes dans un studio de yoga en Floride en novembre 2018 et qui produisait des contenus extrêmement misogynes sur les réseaux sociaux. Enfin, un Canadien de 17 ans, auteur en février 2020 du premier féminicide qualifié de terrorisme incel à Toronto.
Le 10 juin, en Haute-Marne, un collégien de 14 ans poignarde mortellement une surveillante de 31 ans. Nous y reviendrons plus bas.
Les féminicides par garçons adolescents ne relèvent pas de l'anecdotique. Ils forment les symptômes d'un phénomène exacerbé, l'incubation d'une haine des femmes suffisamment profonde et explicite pour pousser des adolescents à tuer des filles et des femmes. Une haine conditionnée et banalisée jusqu'à se transformer en passage à l'acte.
J'appelle ce phénomène « la masculinité gynéphontique ». L'expression semble barbare, car elle l'est. Elle désigne une réalité déjà barbare qui doit être nommée avec précision. Une forme de masculinité misogyne dont le noyau symbolique, discursif et comportemental est tourné vers la déshumanisation des femmes et l'incitation au féminicide.
Gynéphontique, de γυνή (femme) et de φονεύειν, verbe signifiant « tuer ». Nous l'entendons ici par ce qui pousse au meurtre, le prépare et l'encourage. Nous assistons depuis des années à une métamorphose inquiétante des discours masculinistes en ligne. Leur but n'est plus seulement d'humilier ou de dominer les femmes pour fraterniser entre hommes (la masculinité est homophile à travers la misogynie), mais bel et bien de produire les conditions psychologiques et symboliques du meurtre.
Leur héraut Andrew Tate en premier lieu prône l'exploitation sexuelle des femmes en tant que bétail prostitutionnel. D'autres influenceurs français, Alex Hitchens (incitation à la violence physique misogyne), Adrien Laurent (banalisation du viol), mais aussi bon nombre de rappeurs français qui, dans une complicité culturelle éhontée, diffusent des paroles explicitement misogynes, haineuses, déshumanisantes et donc gynéphontiques.
D'abord, déshumaniser les femmes, ensuite, les tuer. Déshumaniser pour tuer. Les nazis et toutes les idéologies patriarcales employées pour justifier génocides et colonisation approuvent et connaissent la chanson.
À côté d'eux, Stéphane Edouard et Laurent Obertone font figures de gentlemen. Nous en sommes là. Et oui, tous les hommes banalement misogynes bénéficient ainsi du terrorisme gynéphontique. Les crapules masculinistes comme ces deux « influenceurs » passeraient presque pour « raisonnables » dans leur misogynie.
Mais il faut cesser de considérer ces hommes – y compris les crapules masculinistes classiques – comme des « influenceurs ». Ce sont des terroristes qui produisent une haine agissante dans un continuum d'incitation à la violence, de la minimisation du viol jusqu’au féminicide. Une haine qui tue aujourd'hui des adolescentes. En cela, leur action est comparable à celle des prêches djihadistes des années 2010. Ils ciblent des adolescents et de jeunes hommes fragilisés, en quête d'identité, et les enrôlent dans une vision paranoïaque et suprémaciste du monde. On voit désormais le résultat en France.
La série Adolescence a été diffusée en France le 13 mars. Les adultes autruches sont tombés des nues. Les ados radicalisés à la masculinité gynéphontique se sont dit « Ça parle de moi ». Depuis, les cas précédemment cités et explicitement liés à l'idéologie masculiniste incel ont éclaté dans les collèges et lycées français.
Penchons-nous sur le quatrième qui ne semble pas lié à première vue. Le 10 juin, en Haute-Marne, un collégien de 14 ans a tué d'un coup de couteau une surveillante de 31 ans lors d'un banal contrôle. La presse nous dit que devant les enquêteurs, le collégien a indiqué « vouloir s'en prendre à une surveillante, sans en cibler une en particulier ». Il a expliqué ne plus supporter « le comportement des surveillants qui avaient, selon lui, une attitude différente suivant les élèves ». Sermonné le 6 juin pour avoir embrassé sa petite amie, il a déclaré « avoir ressassé le projet de tuer une surveillante, n'importe laquelle » [Une surveillante, pas un surveillant, notez]. Avant de quitter la maison, il a pris le plus gros couteau pour « faire le plus de dégâts possible » (France Bleue).
La défense de l'adolescent est invraisemblable. Il prétend ne pas fréquenter les réseaux sociaux. Pourtant, à peine dix minutes de scrolling sur TikTok suffisent à glaner des dizaines de contenus misogynes, sans même les chercher. Baignant dans un contexte sociétal où les jeunes sont saturés de masculinisme, l’adolescent censé avoir une petite amie ne peut pas avoir échappé à l'air du temps. Cela n'existe plus, ni dans les familles économiquement intégrées, ni même dans les foyers précaires. Les réseaux sont omniprésents.
La majorité des adolescents sont aujourd'hui déconnectés de la réalité concrète, mais hyperconnectés aux réseaux. Les deux états de fait sont liés. Les réseaux détruisent la réalité sociale et en reconstruisent une autre, façonnée par des logiques marchandes où la misogynie et l'exploitation sexuelle des femmes se révèlent hautement rentables. Il suffit d'observer le comportement d'Aylo, le méga-groupe pornoprostitutionnel ex-MindGeek pour en comprendre la dynamique. Aylo refuse de se plier à la loi française sur la protection des mineurs. Pourquoi se priverait-il de nourrir l’imaginaire masculiniste adolescent, alors que cet imaginaire alimente directement ses profits ? La boucle est bouclée.
Et c'est précisément ce que démontre l'enquête de Pauline Ferrari dans son ouvrage Formés à la haine des femmes. Les algorithmes exposent les jeunes garçons, par défaut, à un flot continu de vidéos déshumanisantes, d'injonctions à la suprématie masculine, d'appels explicites à régler le compte de la gent féminine. Ferrari montre comment les contenus masculinistes (gynéphontiques), s'incrustent dans l'expérience quotidienne des adolescents, même sans démarche active de leur part. La prétendue absence des réseaux avancée par le féminicideur est dès lors très peu crédible. Elle relève de la dénégation, consciente ou non, d'une immersion permanente de ses pairs et donc, de lui-même, dans un bain idéologique structurant.
Les féminicides adolescents ne sont pas des drames isolés mais une dynamique émergente du continuum des violences misogynes masculines. Une radicalisation qui les happe de plus en plus jeunes, depuis l'éducation genrée permissive qui tolère et encourage leurs comportements turbulents et leurs attitudes de bullies envers les filles, jusqu'à l'exposition aux contenus misogynes et déshumanisants, gynéphontiques, sur les réseaux, dans les jeux vidéo, et dans la musique même, en premier lieu, et les plus popularisés à travers le rap. À ce sujet, voir la chaîne du Dérapeur qui expose ces discours. (On peut saluer son travail remarquable sur ce point sans adhérer à ses prises de position concernant le conflit israélo-palestinien, et une fois n'est pas coutume, séparer l'homme de l'analyste.)
Le discours masculiniste gynéphontique métastase. Il transforme des adolescents en meurtriers misogynes. Il réduit la réalité sociale d'une culture où les femmes sont toujours économiquement et socialement pénalisées au mythe la femme ennemie, coupable de tous les maux des hommes, et à éliminer.
Il est urgent de changer de paradigme. Les discours de Tate et consorts ne sont pas de simples « opinions polémiques », ce sont des discours terroristes appelant aux féminicides. Ils doivent être poursuivis comme tels.
Il faut aussi doter les dispositifs de prévention de cette grille de lecture. Former les enseignants, les médiateurs à repérer ces signaux faibles. Ne pas sous-estimer les signes de fascination pour les idéologies masculinistes gynéphontiques. Créer un contre-discours clair, fermement politique et déréalisant ces mythes toxiques.
Non, je blague. Rien de cela ne fonctionnera.
Rien de cela ne fonctionnera tant que les violences sexuelles misogynes sont considérées comme de la « liberté d’expression » et normalisées. Je parle de la pornographie massivement consommée qui formate l’imaginaire porniste masculin et fabrique une masculinité sociopathique dénuée d’empathie pour les femmes, ainsi que de jeunes femmes polytraumatisées qui se plient aux violences.
La masculinité gynéphontique n'est pas un phénomène marginal. Elle se massifie. Si vous voulez protéger vos filles, les jeunes femmes et les femmes en général, il est temps de la nommer et de la combattre à la racine. Commencez par la porno-prostitution et les stratégies idéologiques développées pour inciter les femmes à avoir des enfants, et qui les confinent aux rôles de mères et de putains.