Traduction du texte publié par Lisa Selin Davis :
Shannon Thrace a vécu quatorze années de bonheur avec son mari. Et puis, un beau jour, lorsqu'il lui a annoncé qu'il voulait se travestir — ce qui ne posait aucun problème à Shannon — cela a très rapidement engendré une série de changements incontrôlables, jusqu'à envahir leur mariage. Les mémoires de Shannon, 18 mois, publiés aujourd'hui, relatent en détail la dissolution de leur relation et l’intense transformation de son mari, passé d'un homme heureux d’embrasser un penchant sexuel à une personne sous une profonde emprise idéologique. Vous trouverez ci-dessous un bref extrait du livre, que vous pouvez acheter ici.
Rejeter le genre
« J'ai l'intention de me travestir », m’annonces-tu sans rire, les yeux grands ouverts et le sourcil levé. Puis tu t’appuies contre le dossier du canapé, campé sur ta position et me regarde comme si tu t’attendais à une objection.
« OK… ? » Je jette un coup d'œil au livre sur le développement web frontal que j’ai ramené du bureau, plutôt difficile à aborder — ma prime dépend de l'acquisition d'une nouvelle certification chaque trimestre. Le soir où je t'ai relooké, tu as dormi dans mon chemisier. Je suis donc allée fouiller dans des fripes haut de gamme pour te faire la surprise d’un kimono taille unique. Tu as été touché. Tu le portes pour dormir depuis.
Tout ceci pour dire que ton désir de te travestir ne m’avait pas vraiment échappé.
Mais je mets mon livre de côté et je t'accorde toute mon attention. Tu veux aussi te travestir la journée maintenant, me dis-tu, et en public. C'est important pour toi, mais honnêtement, ça ne l'est pas pour moi. Les règles vestimentaires sont socialement construites, et les « vêtements de femmes » n'appartiennent pas aux femmes. En ce qui me concerne, tout le monde peut porter ce qu'il veut. Nous n'avons pas d'enfants, il n'y a donc pas d'équilibre à trouver. Et pour ce qui est des goûts personnels, je ne suis de toute façon pas dans la norme. Très peu d’hommes m’attirent, et ceux qui m’intéressent ne sont généralement pas des parangons de masculinité typique.
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« J'aime le mot 'travesti' », dis-tu, assez fort pour être entendu par-dessus Avenged Sevenfold. Tu retires une minijupe à carreaux du présentoir et en vérifies la taille. « Il y a un côté old school que j’aime bien. »
Tu as besoin de quelque chose à porter pour ton spectacle, alors je t'ai emmenée à Hot Topic, un centre commercial pour adolescents qui sent le cuir verni et le gloss. Un mur au sud est couvert de robes corsetées, noires et rouges, ornées de nœuds et de têtes de mort. Près de l'entrée, un mannequin aux seins nus porte des mini-shorts en cuir à taille haute, des collants déchirés et des bottes cuissardes. Au nord, des t-shirts métal et hardcore côtoient des gants mitaines, des bas couturés et des ceintures cloutées.
Une lycéenne aux cheveux pastel prépare une cabine d'essayage avec la douzaine de vêtements que tu as rassemblés. Je te rejoins derrière l'épais rideau noir, lisant les autocollants des groupes qui plâtrent les murs pendant que tu essaies tes affaires. « Je suis un travesti cadre sup », tu poursuis, en enfilant tant bien que mal une robe babydoll.
Une jupe ultra-courte qui volette avec du tulle déchiré et des jarretelles obtient ton assentiment. Tu t’es également entiché d'une paire de bas arcs-en-ciel. Pour compléter la tenue, nous nous arrêtons dans une friperie où tu trouves une paire de bottes à talons hauts bien mastoc, de type oxford, à taille d’homme et lacées de gros rubans.
Tu revêts ta nouvelle jupe, tes bas et tes chaussures, et tu finis avec un t-shirt Yoda et une brassée de bracelets en cuir. Après t’être rasé, tu te maquilles tout seul : une généreuse couche de fond de teint pour cacher le soupçon de barbe sous ta peau, un eye-liner noir et un rouge à lèvres rouge. C'est un peu too much, mais je suppose que c’est fait exprès.
Tu me tends ton téléphone pour une séance photos et tu prends la pose : les mains devant, les mains derrière, les genoux en croix, la tête inclinée. Impatient de voir, tu me reprends le téléphone des mains. Mais ton visage revêt une expression effondrée lorsque tu fais défiler la galerie.
« J'ai l'air grotesque », dis-tu.
Je hausse les épaules. « C'est le Rocky Horror Picture Show. »
Tu te mures dans le silence tandis que tu fermes la maison à clef et tu démarres ton camion. Je suppose que grotesque n'est pas le look que tu recherchais.
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« Parlons des limites », m’annonces-tu. Tu me prends la main et en traces les contours du bout des doigts. « Je me plierai à toutes les règles. J'y renoncerai complètement, si tu veux. C'est toi qui décides à cent pour cent. »
J'apprécie que tu t’enquières de moi, c'est tellement toi. Je réfléchis une seconde, même si je sais qu'il n'y a rien à réfléchir. Le fait que tu le proposes est tout ce qui compte pour moi.
« Je n'ai pas besoin que l’on établisse des règles », te dis-je.
Je m'attends à lire du soulagement dans tes yeux, mais au lieu de cela j’y vois une supplique. « Je ne suis pas gay. Tu le sais, non ? Tu ce qu’il y a de plus sexy au monde pour moi. »
Je le sais. Notre relation a toujours été très sexuellement chargée, et notre passion n'a pas faibli avec le temps.
« Je respecterai toujours tes souhaits », dis-tu en me lâchant les mains et en m'enveloppant dans tes bras. « Tu peux changer d'avis à tout moment. »
Je presse ma joue contre ton cou et m'autorise à ressentir de la gratitude pour toi, pour notre intimité dénuée de peur, pour nous.
Tu te penches en arrière et tu me regardes dans les yeux, les tiens humides d'émotion. « Je ne laisserai jamais rien se mettre entre nous », dis-tu. « Surtout pas ça. »
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« Pour la défense des travestis [cross-dressers] ! », m’annonces-tu lorsque j'arrive à la maison, en tournant l’ordinateur portable en ma direction. Tes étudiants sont en vacances de Noël, donc tu es resté à la maison toute la journée. Je fais tomber la neige de mes bottes, je dépose mes sacs et j'enlève mes gants humides.
« Cool », dis-je. « J'adorerais le lire. »
Tu as acheté un nom de domaine, dis-tu en me suivant jusqu’à l’entrée, devant le thermostat. Tu as installé un module pour blogger. Tu as écrit ton premier article.
« C’est normal qu’il fasse aussi froid ici ? » Je monte le chauffage.
Tu as personnalisé un thème pour ton blog, ajoutes-tu en me suivant dans la cuisine. Tu as appelé le blog « Outside the Binary ».
« J'adorerais le lire », je répète, en mettant une tasse d'eau au micro-ondes. Je tamise le rooibos dans l'infuseur pendant que tu expliques ce qui t’a motivé à écrire ton premier article, « Lettre ouverte à une femme trans ».
C'est destiné à une certaine Shesha avec qui tu as discuté en ligne. Ton intérêt pour le travestissement, suggère-t-elle, signifie que tu es vraiment trans. Peut-être que tu as peur d'y faire face pour le moment. Mais tu devrais te regarder en face. Peut-être que tu n’es pas du tout un travesti. Peut-être que tu es une femme.
Je m'installe sur le canapé et tire le plaid en laine au-dessus de mes genoux. Dehors, des flocons de neige saupoudrent de blanc le panorama brun de gazon mort et d’échinops desséchés, une feuille d'érable solitaire voletant sur une branche. Les remarques de Shesha t’ont mis hors de toi, dis-tu en me tendant ton ordinateur portable. Tu étais déterminé à répondre.
Le post en question est le résumé familier d'une philosophie que tu as peaufinée au cours des derniers mois.
Tu es un homme qui se travestit, précises-tu dans ton texte. Un homme, pas une femme. Tu bénéficies de privilèges masculins, et tu le reconnais.
Les travestis sont les plus cachés du spectre LGBTQ, expliques-tu. On vous traite de cinglés ou de pervers. Vous êtes la risée de tous. Mais il n'y a pas de honte à se travestir. Vous voulez vous l'approprier. Vous voulez déstigmatiser le mot « travesti » — c'est un beau mot. Vous aimez les vêtements féminins : les tissus fins, les jolis motifs, la coupe flatteuse. Pourquoi un homme ne pourrait-il pas aimer la mode ? Tu es très fier de ta touche perso et de son style.
Tu veux être toi-même, et non imiter quelqu'un d'autre. Tu refuses donc de porter de fausses hanches. Tu ne te "maquilleras jamais comme un clown ». Tu ne veux pas même rembourrer un soutien-gorge. Les femmes doivent parfois composer avec une poitrine plate ou une taille épaisse, alors pourquoi pas toi ? Tu répètes l’une de tes phrases préférées : « Je porte des vêtements de femme pour m'exprimer, comme un punk porterait un Mohawk. »
Des gens comme Shesha veulent que tu dises que tu es « né comme ça ». Tu n'étais pas un grand joueur de baseball, au grand dam de ton père, mais tu étais autrement un garçon typique. Tu te battais avec tes frères et tu taillais des bouts de bois bizarres. Tu n'as jamais préféré les jouets de filles, tu n'as jamais joué à te déguiser ou tu n'as jamais été intimidé parce que tu étais étrange. Tu n’es pas « câblé » pour apprécier les choses féminines. [NdLT : aucune fille n’est « câblée » pour apprécier les stéréotypes de genre.] Tu es un être humain doté du pouvoir d’agencement, pas une anomalie médicale.
Peut-être que tu n’es pas un homme typique. Mais tu n'es pas non plus une femme. Tu es très bien comme tu es ! Tu n’as aucune envie de te faire pousser des seins ou de perdre ton pénis. En ce qui concerne le genre, vous êtes « hors de la binarité » et tu t’y plais. Nous devons remettre en question la binarité du genre, dis-tu, et non pas pousser les gens vers l'un ou l'autre de ses extrêmes.
La révérence du genre
« Vous ne me considérez pas comme une femme, n'est-ce pas ? » Tu es assis au bord de la causeuse dans le salon, comme sur le point de te lever. Tout à l'heure, je t'ai appelé « il » en parlant à ma mère au téléphone. Tu as entendu.
Tu es habillé pour l'occasion de bottes et d'une robe portefeuille. Tu t'es maquillé et tu as arrangé tes cheveux. Je ne sais pas pourquoi, je ne savais pas que tu avais des projets pour ce soir. Tu t’approches de moi maintenant, adoptant une posture de scoliose typique d'une grande personne qui a du mal à marcher avec des talons.
Rien de bon ne peut sortir de cette discussion. Mais je n'aurai pas le droit de m'y soustraire. Je reconnais mon erreur.
« Je suis désolée. J'ai respecté tes pronoms depuis que nous en avons parlé ce printemps et je continuerai à le faire. »
« Mais tu ne me considères pas comme une femme. »
Tu as raison. Mais je ne peux pas contrôler ce que je pense. Et je ne pense pas que vouloir recâbler mon cerveau soit un objectif raisonnable pour toi. Je pense que se respecter mutuellement, dans toutes nos différences, devrait être notre but. Mais je n’en dis rien ; maintenant, l'honnêteté te choque souvent. Mais je ne renonce pas à l'honnêteté. Si je ne peux pas te parler franchement, même avec compassion, alors il n’y a plus rien à sauver de notre relation. Je n'aime pas le goût du mensonge dans ma bouche.
Pourtant, je ne peux m'empêcher d’employer toutes les stratégies possibles pour protéger tes sentiments. Éviter les discussions improductives. Tendre la vérité jusqu'à son point de rupture. Répondre à tes questions par des questions.
« Qu'est-ce qu'une femme, au fait ? »
« Je suis une femme. » Tu profiles ta silhouette avec tes deux mains. « C'est à ça que ressemble une femme. »
« Mais qu'est-ce qui rend cela vrai ? Ma curiosité est sincère, je t’assure ». Tu réfléchis. « Est-ce que ce sont les vêtements ? » Je demande, quand je comprends qu’il n’arrivera pas à me répondre…
« Bien sûr que non ! Je suis toujours une femme, peu importe ce que je porte. Les vêtements ne sont que l'expression de ma féminité. »
« OK » je dis. « Et tu m’as dit que tu ne croyais pas que les femmes aient des cerveaux différents… »
« Il ne s'agit pas de cerveaux sexués ! »
« Si ce n'est pas dans ton corps, et si ce n'est pas dans ton cerveau, où est-ce que c'est ? »
Au lieu de répondre, tu assènes : « Les femmes trans sont un sous-ensemble de femmes. »
Mais un sous-ensemble a toutes les caractéristiques de son ensemble parent. Quels traits décrivent les femmes aussi bien que toi ? Au mieux, les gens comme toi et les gens comme moi appartiennent à un sur ensemble — de « femmes-en-vigueur » [dans la législation], ou quelque chose comme ça. Mais la théorie des ensembles n’est probablement pas le bon cadre pour mener cette discussion.
Quand bien même.
« J'ai une identité de genre féminine », déclares-tu, après un moment. « Comme toi. »
« Attends, quoi ? Non. Je n'ai pas d'identité de genre. »
« Bien sûr que si. » Tu sembles offensé, comme si je le niais pour prouver quelque chose.
Mais je suis certaine de ce que je dis.
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« Je suis littéralement une femme », dis-tu avec une expression qui m’indique que tu viens d’avaler une aspirine. « Et pas quelqu'un qui s'identifie comme une femme. »
Bien que tu ne te tiennes qu’à quelques pas de moi dans le foyer de notre maison, tu ne pourrais pas te trouver plus éloigné. Pendant la majeure partie de nos quinze ans passés ensemble, nous avons partagé une intimité facile et invincible, et mon cœur a envie de t'atteindre, de te ramener auprès de moi et de te parler. Au lieu de cela, je regarde fixement un gouffre béant qui ne peut être franchi. Au cours des derniers mois, parler avec moi est devenu quelque chose que tu ne fais plus.
« Jamie », je t’appelle, m'avançant et te tendant la main. Mais tu te diriges vers la porte. Tu portes des bottes à talons hauts et une robe trop moulante pour la froidure de novembre, tu n’as plus rien de la personne qui s'identifiait fièrement comme un homme il y a quelques mois à peine. Le changement de position se lit sur ton visage : la robe mal adaptée à l'hiver, les couches de fond de teint pâteux, les cheveux arrangés et crêpés.
Tu te retournes et me fixes en te drapant de ton manteau comme pour te défendre d’une quelconque attaque invisible. « Les femmes trans sont des femmes », ajoutes-tu mécaniquement. Un souffle d'air froid emplit la maison lorsque tu passes le seuil.
Commentaire de la traductrice :
Pour avoir lu quantité de témoignages de veuves trans ainsi que recueilli, durant de longues discussions, des témoignages de première main, je peux affirmer que ce n’est pas l’emprise idéologique qui a « transformé » l’homme rencontré dans cette histoire vraie. L’on constatera qu’il était d’abord sous l’emprise d’une condition mentale, plus forte que lui. Il était obsédé et déjà vulnérable avant même de rencontrer les activistes trans qui n’auront pas grand-chose à faire pour l’endoctriner.
Il ne pouvait plus aimer sa compagne, dès le moment où sa paraphilie s’est déclarée. Sa compagne, narratrice de ce triste récit, est très rapidement devenue pour lui qu’un sidekick, une acolyte dans son fétichisme. Le fétichisme de travestissement est une sexualité de déplacement, une paraphilie. Les paraphilies sont des sexualités sociopathiques en ce qu’elles se portent sur un objet, ou objectifient des personnes (devenues objets) : femmes, enfants, animaux, qui ne seront perçus et ressentis par le paraphile que comme les instruments de sa jouissance.
Le paraphile ne peut avoir ni compassion ni empathie vis-à-vis de ses pseudo-partenaires, il ne pense qu’à lui, il est tout entier investi de son besoin. C’est une personne malade mentale. Il recherche dans le travestissement l’excitation continue, que ce soit d’ordre sexuel (dans la plupart des cas) ou plus intellectuel — en fonction du tempérament et de la culture. Cela n’en reste pas moins une monomanie tournée vers un objet, et non un être-au-monde qui permet d’interagir sainement avec les autres.