Le scandale Tavistock et les regrets du personnel soignant
Titre original : Le scandale Tavistock « est comparable au dopage des athlètes en Allemagne de l’Est »
Article original par Glen Keogh, paru dans le Times UK, Samedi 11 février 2023
Un nouveau livre sur la clinique pour enfants du NHS révèle que le personnel « regrette » d’avoir systématiquement orienté les moins de 16 ans vers des bloqueurs de puberté.
Plus de 1 000 enfants auraient été envoyés à la clinique expérimentale du genre de Tavistock pour l’administration de bloqueurs de puberté, sans tenir compte des inquiétudes soulevées afin de préserver un contrat « en or » pour le NHS (National health service) selon le livre.
D’ancien·nes clinicien·nes du Service de développement de l’identité de genre (SdIG), qui fait partie du Tavistock and Portman NHS Trust à Londres, ont expliqué en détail comment certains enfants aux situations « incroyablement complexes » ont été mis sous médicaments après une seule évaluation en face à face, alors que beaucoup d’entre ces enfants présentaient divers problèmes de santé mentale ou des contextes familiaux difficiles.
Plus d’un tiers des jeunes orientés vers le service présentaient des traits autistiques modérés à sévères, contre moins de 2 % des enfants de la population générale. Certains s’identifiaient non seulement au sexe opposé, mais aussi à une origine ethnique différente, par exemple en tant que Japonais·es ou Coréen·nes. L’une de ces jeunes personnes avait « trois alter ego différents, dont deux parlaient avec un accent australien ».
Dans le livre, d’anciens personnels médicaux du service SdIG parlent pour la première fois en détail des « regrets » qu’ils et elles nourrissent envers le protocole consistant à orienter systématiquement les moins de 16 ans vers des traitements de blocage de la puberté et l’administration d’hormones du sexe opposé, sans données concrètes sur les effets à long terme. Ils et elles comparent cette pratique au scandale de l’hôpital de Mid Staffs dans les années 2000 [ou des centaines de morts se sont produites à cause d’une politique publique qui a fait passer les intérêts financiers privés avant la sécurité des patient·es] et au dopage des athlètes est-allemand·es dans les années 1960 et 1970 [résultant dans l’altération de la santé de 10 000 athlètes et des effets irréversibles sur plus de 1000 d’entre eux, dont la virilisation des femmes avec de graves conséquences sur leur système reproducteur].
Ces allégations figurent dans le livre Time to Think : The Inside Story of the Collapse of the Tavistock's Gender Service for Children (« L’heure est à la réflexion : L’histoire de l’effondrement de la clinique du genre pour enfants de Tavistock ») de Hannah Barnes, qui sortira ce mois-ci.
Barnes, une journaliste de BBC Newsnight, s’est entretenue avec des dizaines de clinicien·nes qui ont travaillé au SdIG, ainsi qu’aux gouverneurs du trust, aux enfants qui ont été envoyés dans ce service et à leurs parents.
Elle détaille comment :
· Des enfants âgés d’à peine trois ans, vivant déjà « comme le sexe opposé » avec un nom, une apparence et des pronoms modifiés [des enfants auxquels des adultes ont fait faire une transition sociale], ont été orientés vers le service.
· La clinique représentait près de 30 % des revenus du Tavistock NHS Trust en 2021 et le personnel a déclaré qu’elle ressemblait à une « start-up technologique » avec des voyages réguliers pour se rendre à des conférences internationales.
· En 2016, Susie Green, ancienne responsable de l’association caritative pro-trans Mermaids [asso tombée pour avoir placé trop d’hommes pro-pédophiles à des postes à responsabilités et pour avoir groomé des mineures sur leur forum et leur avoir envoyé des binders à l’insu de leurs parents], a envoyé un courriel au Dr Polly Carmichael, qui était alors à la tête du SdIG, demandant de réduire le temps que les enfants devaient passer sous bloqueurs de puberté avant que leur soient substituées les hormones du sexe opposé aux effets irréversibles.
· Le personnel s’est inquiété lorsque, au nom des familles, Green a demandé que les clinicien·nes pour enfants soient remplacé·es par des personnes considérées comme plus susceptibles de prescrire des hormones.
· Lors de sa première interview depuis qu’elle a gagné son procès aux Prud’hommes, après avoir exprimé des inquiétudes concernant la sécurité des enfants, la responsable déontologie du NSH Trust, Sonia Appleby, a déclaré que toute personne qui osait s’exprimer à ce sujet était systématiquement « diabolisée ».
· D’anciens thérapeutes impliqués dans la prescription de bloqueurs de puberté admettent maintenant qu’ils ne savent pas « combien d’enfants ont changé d’avis » sur la transition [« détransitionnistes »].
Le livre d’Hannah Barnes sur le Tavistock est publié ce mois-ci. JON ATTENBOROUGH POUR LE MAGAZINE SUNDAY TIMES
Fondé en 1989, le SdIG de Tavistock, qui était la seule clinique britannique spécialisée dans l’identité de genre pour les enfants et les jeunes, a dû fermer ses portes l’année dernière après qu’une étude indépendante [commissionnée par le gouvernement] menée par le Dr Hilary Cass a conclu que les jeunes couraient un « risque considérable » de détresse et de mauvaise santé mentale. Un rapport de la Care Quality Commission avait qualifié le service d’« inadapté » et critiqué l’organisation du suivi des dossiers.
Les données montrent que 354 enfants de moins de 16 ans ont « consenti » à des bloqueurs de puberté à l’University College London Hospital Trust et à l’hôpital pour enfants de Leeds entre 2012 et 2021 après avoir été vus par des thérapeutes et des psychologues de la clinique. Entre 2009 et 2017, 1 261 enfants et adolescent·es ont été orienté·es vers une intervention médicale. Le SdIG a déclaré que la « grande majorité » de ces enfants ont été mis sous bloqueurs de puberté.
Après avoir initialement traité quelques patient·es par an, les renvois vers le SdIG ont augmenté de façon spectaculaire. En 2009-10, le service en a reçu 97. En 2019-20, il en a reçu 2 748, soit une augmentation de plus de 2 700 %. Le plus jeune enfant connu pour avoir été adressé à des endocrinologues du University College London Hospital Trust avait sept ans. L’enfant a ensuite été traité dans le privé.
Le volume de patient·es a largement dépassé ce qui avait été prévu et de nombreux membres du personnel se sont senti·es dépassé·es.
Les thérapeutes qui travaillaient à la clinique ont dit que le personnel essayait de faire de son mieux pour les jeunes, mais que les évaluations avaient rapidement commencé à être expédiées. Un certain nombre de jeunes ont déclaré qu’ils avaient l’impression que le personnel du SdIG les avait écoutés et ont parlé positivement de leur traitement.
Mais la Dr Anna Hutchinson, psychologue clinicienne senior au SdIG, a déclaré que le service avait fini par pratiquement « accepter tout le monde ». Elle a expliqué que les bloqueurs de puberté étaient censés être prescrits aux enfants pour leur donner « le temps de réfléchir » à la question de savoir s’ils souhaitaient une transition complète, mais elle s’est rendu compte que presque toutes et tous poursuivaient vers les hormones du sexe opposé telles que la testostérone et les œstrogènes, dont les conséquences sont irréversibles sur le corps et la santé.
Hutchinson a confié à Barnes qu’il s’agissait d’un moment de prise de conscience de type : « Nom de Dieu ! ». « Cela a complètement renversé l’idée qu’en leur prescrivant des bloqueurs de puberté, nous ne faisions rien d’autre que de leur proposer du temps pour réfléchir », a-t-elle déclaré.
« Car quelles sont les chances pour que 100 % des personnes à qui l’on “donne” du temps pour réfléchir finissent par faire le même choix ? Si le service s’est vraiment planté là-dessus, c’est au détriment des enfants les plus jeunes et les plus vulnérables. »
Elle croit maintenant que « certains de ces enfants ne se seraient pas identifiés comme trans s’ils n’avaient pas été lancés sur le parcours médical ».
« Bien sûr, cela ne veut pas dire que l’identification en tant que trans est en soi un mauvais résultat », a-t-elle dit. « Mais ce qui est un mauvais résultat, c’est de créer une cohorte de personnes qui sont devenues médicalement dépendantes et qui n’auraient jamais eu besoin de l’être. En outre, elles sont non seulement médicalement dépendantes, mais leur santé est peut-être — nous ne le savons pas encore — médicalement altérée. » [Il y a peu de doute à ce que la suppression de la puberté qui empêche le développement des organes sexuels et la maturation cérébrale, suivie de la prise d’hormones du sexe opposé n’aient pas de conséquences iatrogènes graves, irréversibles et pour le restant de la vie. Cette réserve semble bien hypocrite.]
Elle décrit le service comme « scandaleux par sa négligence et son ampleur ». [Raison de plus.]
En 2011, le SdIG a commencé une étude d’« intervention précoce » à laquelle 44 patients âgés de 12 à 15 ans ont participé pour voir les effets à plus long terme des bloqueurs de puberté. Mais en avril 2014, la pratique consistant à prescrire des bloqueurs aux moins de 16 ans a été introduite dans l’ensemble du service avant que les données sur leurs effets ne soient disponibles. La limite d’âge de 12 ans a été supprimée, car le SdIG s’appuie sur une approche « par stade et non par âge », basée sur le stade de développement de l’enfant. [Nous supposons qu’il s’agit des stades de Tanner.]
De nombreuses questions concernent le fait de savoir si les bloqueurs de puberté perturbent « temporairement ou définitivement » le développement du cerveau des enfants, et s’ils sont susceptibles de retarder la croissance et d’affecter la solidité des os. On sait peu de choses sur les effets secondaires à long terme. [Encore une fois, la réserve manifestée semble hypocrite.]
Anastassis Spiliadis, thérapeute familial, a expliqué à Barnes l’influence des groupes extérieurs [tels Mermaids et Stonewall] et des parents sur les décisions d’orienter des enfants souvent vulnérables vers une médicalisation aux bloqueurs de puberté.
Il a déclaré qu’au cours de ses quatre années de travail dans le service, il a pris à deux reprises la décision de ne pas mettre sous bloqueurs des enfants issus de familles et de milieux complexes. Cependant, les familles se sont plaintes et « les deux se sont retrouvés sous bloqueurs ».
Les parents qui se sont plaints ont été orientés vers « des clinicien·nes connu·es pour prescrire plus facilement des hormones », a-t-il déclaré.
Des inquiétudes ont également été soulevées quant à certains parents qui poussent leurs enfants à effectuer une transition dans des cas de maladies fabriquées ou induites (FII pour fabricated or induced illness), précédemment connue sous le nom de syndrome de Munchausen par procuration.
Dans un cas, a-t-il dit, l’enfant a déclaré : « ma mère veut ça pour moi » ou « c’est ma mère qui veut le bloqueur plus que moi ». Il a ajouté qu’il y avait des abus sexuels et des violences domestiques dans la famille et qu’un collègue et lui-même avaient décidé de ne pas proposer à l’enfant de prendre des bloqueurs de puberté. Cependant, cette décision aurait été annulée par Carmichael.
En d’autres occasions, un changement de clinicien·ne aurait été demandé par Green, la présidente directrice de Mermaids, a déclaré Spiliadis. [Green a été virée depuis, mais en même temps, Mermaids est finie.]
« Je me souviens avoir pensé et dit à Paul [Jenkins, le chef du Tavistock] que c’était vraiment déplacé — comment se fait-il qu’une personne qui est directrice ou CEO d’une organisation caritative ait le droit de demander un changement de clinicien au nom d’une famille ? »
À propos de sa pratique au SdIG, Spiliadis a ajouté : « Nous nous demandions : “Oh mon Dieu, quand dans 20 ans d’ici là, nous allons regarder dans le passé, allons-nous nous demander ‘mais qu’avons-nous fait ?!’“ ».
Matt Bristow, ancien clinicien de SdIG, a ajouté : « Malgré la complexité évidente de tous ces cas — abus sexuels, traumatismes, FII potentiel — la réponse était toujours la même. Il fallait que les jeunes soient mis sous bloqueurs, sauf s’ils ou elles déclaraient ne pas en vouloir. »
Les lanceuses et lanceurs d’alertes affirment également que la clinique, qui traitait les moins de 18 ans diagnostiqué·es avec une dysphorie de genre, souffrait « d’homophobie institutionnalisée » et cédait à la pression de parents qui préféraient que leurs enfants soient transgenres plutôt qu’homosexuel·les. Lorsque des clinicien·nes homosexuel·les ont fait part de leurs inquiétudes quant au fait que la clinique devenait un endroit pour « thérapies de conversion sur enfants gays », ils et elles ont été ignoré·es, car jugés trop subjectives.
Le livre de Barnes fait aussi référence aux avantages financiers que le SdIG a apportés au Tavistock Trust à une époque où les services du NHS subissaient une immense pression financière.
Le Dr David Bell, psychiatre et ancien gouverneur du personnel du NHS trust qui a rédigé un rapport critique sur le service en 2019, après avoir été approché par un certain nombre d’employé·es concerné·es, a déclaré que le contrat national du SdIG avec le NHS — dans le cadre duquel il n’avait pas à entrer en concurrence avec un autre service — était « en or ».
Le Dr David Bell a déclaré que les inquiétudes étaient passées sous silence en raison des avantages financiers du SdIG. ANTONIO OLMOS/THE GUARDIAN
« Bell a affirmé que le poids économique du SdIG avait rendu difficile, voire dissuadé toute possibilité d’exprimer des critiques légitimes et de les faire connaître », écrit Barnes.
Spiliadis a ajouté qu’au départ, le SdIG n’avait pas même un bureau dédié, et qu’il « a fini par occuper tout un étage ». « Mais comme il rapportait beaucoup d’argent, ils [les cadres supérieurs du trust] ne pouvaient pas le remettre en question », a-t-il ajouté.
Hutchinson a constaté qu’avec des salaires élevés, des voyages pour des conférences sur le transgenrisme en Europe et parfois aussi loin que Buenos Aires, la culture interne du SdIG « ressemblait plus à une start-up technologique qu’au NHS ».
Outre les critiques, un examen effectué en 2019 par le directeur médical, Dinesh Sinha, à la suite du rapport de Bell, a également recueilli des témoignages positifs de la part de membres du personnel, qui ont dit ne pas avoir vu de problèmes dans les pratiques de sauvegarde de SdIG.
Mais Sinha n’a pas évoqué les préoccupations qui lui ont été transmises au cours de son examen avec Appleby, la responsable déontologie. Lorsqu’elle a enfin vu les transcriptions, elle a déclaré qu’il s’agissait non seulement d’une « tragédie pour les patient·es concerné·es », mais aussi d’une « tragédie pour l’organisation — qu’un si grand nombre de ces récits aient été censurés et que les personnes qui ont soulevé ces préoccupations aient été diabolisées ».
Bristow a déclaré que le rapport de Sinha consistait en un « blanchiment ».
Le Tavistock and Portman NHS Trust a déclaré : ‘Le SdIG travaille au cas par cas avec chaque jeune et sa famille, de manière réfléchie et holistique, afin d’explorer leur situation, sans aucune attente quant à ce que sera l’issue positive pour eux. Seule une minorité de jeunes suivis par le service sont orientés vers des interventions médicales physiques. Au Tavistock and Portman, nous encourageons vivement notre personnel à faire part de ses préoccupations, et nous avons récemment renforcé nos mécanismes pour ce faire. Les préoccupations relatives au bien-être des jeunes sont prises au sérieux et font l’objet d’une enquête.’
Le Tavistock a ajouté qu’il ne disposait que d’un seul dossier de patient·e ayant été orienté·e vers une intervention médicale après une seule évaluation, et que cette personne avait déjà fait l’objet d’une évaluation détaillée dans un autre service spécialisé dans le genre.
Mermaids s’est refusé à tout commentaire.