Présenté comme un manifeste queer-féministe révolutionnaire, Éropolitique : écoféminisme, désir et révolution prétend réinventer le désir à l’intersection du politique et du charnel. Derrière cette promesse de critique radicale et pléonastique, l’érotisme étant par essence politique en tant que construit culturel, s’étale une normalisation fétichisée du sexisme, noyée sous un brouillard de néologismes fumeux. Un tour de passe-passe où la capitulation se grime en insurrection et la soumission en transgression. Le patriarcat n’a jamais eu d’alliée plus zélée qu’une théoricienne capable de faire passer sa reproduction pour un acte révolutionnaire. Myriam Bahaffou est en ce sens au sexe égalitaire ce qu’Ayn Rand est à la liberté.
Petit exercice de familiarisation : Qui l’a dit ? Bahaffou ou son pastiche ?
Exhibit A : « Devenir rivière : jouir en flux, consentir à l’effondrement liquide
Il ne s’agit plus seulement de désirer en surface mais de suinter avec le monde, de s’ouvrir à l’écoulement des matières comme à la porosité du soi. Je ne veux pas dire “je suis une femme”, mais “je suis un torrent vaginal dans la forêt post-humaine”. Dans chaque goutte, il y a un refus du solide, de l’identité, de la fixité viriliste. Ma jouissance est délocalisée, elle se niche dans les flaques, les spores, les angles morts de la performance binaire. Me faire traverser par une coulée de sève, c’est désapprendre la clôture. Je n’attends plus que le monde me pénètre avec douceur : je jouis déjà d’être hypetfluide. »
Exhibit B : « Être écolo, c’est savoir ouvrir ses trous : anus révolutionnaires et fabulations queers
Nous sommes ici, au-delà des corps et des usages queers de certains organes, face à une solide proposition écologique. En effet, nous penser comme des sujets fermés, hermétiques et impénétrables est un problème au fondement de notre crise actuelle. Si être pénétré∙e signifie être dévalorisé∙e (et c’est le cas sous l’hétéropatriarcat), alors en refusant la pénétration nous nous rendons indisponibles à ce qui peut, littéralement, nous traverser. Pisser, cracher, mouiller, déféquer, avaler, éjaculer, garder en bouche, ouvrir sa gorge, son anus, voilà a contrario des mouvements circulaires qui fluidifient, décloisonnent. De sorte à faire de nous des multiplicités infinies de trous qui s’ouvrent et se ferment, dégorgent et régurgitent, prennent et rendent, faisant communiquer nos écosystèmes avec d’autres, tous formant un ensemble d’enchâssement dont il est impossible de définir des contours clairs.»
Du fumeux au fumiste : l'auto-parodie involontaire
Une prose queer-théorique typique ? Même pas. Cet exercice pulvérise les standards déjà désolants de la pensée poststructuraliste à la Michel-Butler. Nous voici face à une parodie du parodique, un carnaval lexical de termes évidés et de signifiants bariolés. Une pensée chewing-gum à la chlorophylle recouverte de sucre glace, capable de provoquer un coma diabétique en un seul paragraphe. L'objectif est de rendre inintelligible et inaudible la critique féministe radicale et son analyse matérialiste de la domination masculine. Et avouons que c’est plutôt réussi.
Bahaffou maîtrise l'art de substituer la coquetterie à la clarté, l'incantation au concept, et un esthétisme foutraque à la pensée critique. C'est précisément cette vacuité ornementale qui lui vaut d'être promue par la bourgeoisie culturelle et d’occuper l’espace médiatique en occultant les véritables luttes féministes.
Imaginez le patriarcat, pris de tremblements face à l'hyperféminité féministe qui le menace. « Quelle catastrophe ! Les femmes vont intérioriser davantage les stéréotypes misogynes que nous leur imposons depuis des millénaires, mais cette fois volontairement, consciemment, en les brandissant comme étendards de leur libération ! Vite, dissimulons le latex et les gloss scintillants, notre domination est en péril ! » En somme, la marche des salopes des années 90, mais transposée en réserve naturelle, agrémentée de quelques néologismes visqueux et d'un vernis théorique indigent. Un spectacle qui effraie surtout celles qui luttent véritablement contre l'oppression patriarcale.
Prenons le chapitre intitulé « Éropolitiques du dancefloor : twerk décolonial et fête politique », un titre qui, comme tous ceux du livre, semble tout droit sorti d'un générateur automatique de charabia intersectionnel. On y découvre cette révélation stupéfiante : le patriarcat serait, tenez-vous bien, une invention blanche. Et pour le combattre efficacement, quoi de mieux que de remuer frénétiquement son postérieur sous le regard avide des hommes, en simulant l'acte de pénétration ? Il ne s'agit nullement de se plier au désir masculin (pas du tout !), mais plutôt de le détourner, de le subvertir, voire de l'érotiser en pleine conscience, tout en maximisant sa propre désirabilité. Accomplir précisément ce que le système pornographique patriarcal exige de vous, mesdames, mais avec cette nuance révolutionnaire : le faire délibérément, en toute lucidité. Voilà qui est féministe, voilà qui est profondément émancipateur ! Quel renversement prodigieux des rapports de domination !
Les femmes noires, les femmes Massaïs, les femmes Baruyas, les femmes Dogon, les femmes algériennes, les femmes afghanes, les femmes syriennes, les femmes de confessions musulmanes et juives orthodoxes seront sans doute émerveillées d'apprendre que le patriarcat n'est qu'une invention blanche occidentale, et que leur oppression séculaire ne procède que d'un regrettable malentendu chromatique. Il leur suffirait, selon cette logique renversante, d'osciller leur bassin avec plus de vigueur pour que s'évapore toute domination masculine. Quel soulagement !
Cet « empouvoirement » prétendument révolutionnaire, qui consiste à se comporter exactement comme les hommes le souhaitent sans même qu'ils aient à déployer la moindre contrainte physique directe, porte un nom connu depuis longtemps : intériorisation de l'oppression. Et ce n'est pas parce que l'autrice l'invoque qu'elle l'exorcise. Ahah, les pisse-froid, j'ai bien dit « intériorisation de l'oppression » et ce que je raconte, eh bien, ce n'est pas ça. C'est plus subtil ! Elle la cite pour replonger aussitôt dans sa mixture littéraire de sève et de mucus, affirmant d'un même souffle que ce qu'elle propose constitue tout l'inverse. La manœuvre est limpide : nommer ce qu'on fait pour prétendre ne pas le faire, jouer les dissidentes tout en psalmodiant les mantras du pouvoir. Elle se dédouane à coups de formules myco-hélicoïdales, dont la beauté fumeuse sert surtout à enfouir l'aliénation jusqu'au tréfonds du colon. L'oppression devient fluidité, le conditionnement devient érotisme des limbes, le sexisme intériorisé devient traversée métaphysique de bout en bout par les voies digestives.
Le patriarcat exulte. Il n'a même plus besoin de faire le sale boulot. On le fait pour lui, en l'ensemençant à l'aide de graines discursives autoforantes, en le parant de gloss compostables et de mycorhizes rétroprogressistes. Le tout germe dans un humus queer-friendly, saturé de mots-clés biodégradables. Le fétichisme de la domination y pousse en champignon lysergique, hallucinogène certes, mais toujours parfaitement docile. L'intériorisation du sexisme et de la misogynie par les femmes atteint ici son paroxysme, elle devient consciente, délibérée, et revendiquée comme forme d'émancipation. Un comble ! Même la sidération traumatique, dans son apparente passivité, recèle davantage de résistance authentique que cette mascarade d'adhésion enthousiaste à sa propre objectification.
Son chapitre « Au-delà du consentement : éropolitique du risque, masochisme éthique et bdsm courageux », propose avec aplomb de reléguer aux oubliettes le principe du « consentement éclairé » pour lui substituer une nébuleuse « éthique du risque ». Les hommes, qui n'ont même pas eu le temps de simuler une compréhension de la notion de consentement, se voient déjà offrir l'opportunité de le « transcender ». Quelle aubaine pour ces messieurs ! Elle pousse l'indécence jusqu'à ériger le « consentement de la limite » (celle que l’on franchit) en expérience féministe authentique à travers « le masochisme éthique ».
Vous l'avez reconnu, n'est-ce pas ? C'est le... c'est bien le... Libféminisme ! Le masculinisme saupoudré de paillettes pour les vassales du phallus. Le féminisme est évidé de toute substance critique, puis récupéré pour maintenir le lien de servitude affective et sexuelle des femmes aux hommes, et surtout, éviter de trop contrarier ces derniers.
Un discours libertarien assumé
Au-delà d'une pensée irrémédiablement traumabondée aux figures masculines dominatrices, nous assistons à l'expression d'une immaturité relationnelle flagrante, d’une incapacité fondamentale à concevoir, et plus encore à désirer véritablement, des rapports humains égalitaires. L'excitation érotique semble condamnée à n'émerger que dans le déséquilibre des forces, comme si la réciprocité authentique anéantissait toute possibilité de désir. Voici l’aveu d'une hétérocaptivité totale, une soumission profonde aux scénarios hétéronormatifs dictés par le patriarcat, absorbés jusqu'à la sève.
Dans « politiques sécuritaires du trauma, libéralisme intersectionnel et santé mentale blanche », elle déclare avec aplomb : « De manière générale, les politiques sécuritaires du trauma s’infiltrent progressivement dans les milieux militants et ne nous aident pas à grandir ensemble, ni à faire de la place à celleux pour qui la friction et l’intensité constituent des éthiques relationnelles justes, et pour qui les émotions ne doivent pas passer par un discours ficelé et une aspiration à la reconnaissance totale, mais par un travail de négociation voire de conflictualité. Proposition, contre-proposition, ajustement, et parfois, oui, on se force. On se force un peu pour faire plaisir à ses ami∙es, sa famille, on se force en communauté, on se force avec ses partenaires, et même, on se force un peu dans le sexe. Et cette utopie libérale où plus rien ne serait forcé, où la contradiction serait évacuée, est une utopie blanche et bourgeoise où nous serions sacrifiées sur l’autel de la pureté psychologique, au nom de l’impérative protection des traumas. »
Ce qui nous est proposé ici est une réhabilitation du devoir conjugal, une réactualisation postmoderne de l’idée selon laquelle les femmes doivent s'accommoder du désir masculin et prendre sur elles. Il ne s'agit même plus de néomasculinisme, mais d'un retour aux injonctions patriarcales traditionnelles à l'abnégation féminine, naturalisée par la sexologie du XXème siècle, et justifiant par avance les logiques de coercition sexuelle. Bahaffou ne se contente pas d'individualiser l'oppression, elle l'exalte. Elle propose d'ériger « se forcer un peu » en principe de cohabitation sociale, communautaire, intime. Elle fait de la soumission féminine une norme culturelle et spirituelle maquillée en « choix éthique ».
Ce discours rappelle le libertarianisme américain, selon lequel les inégalités sont naturelles et inévitables, et l'ordre capitaliste un simple prolongement des lois de la nature. Enfin voyons, les enfants ! Être de gauche et aspirer à des relations sexuelles non traumatiques, c'est charmant quand on abuse de la fumette au campus, mais il faut bien grandir un jour. Retour à la réalité : les femmes doivent subir, les hommes dominer, et tout le monde de faire semblant que c'est révolutionnaire. Une maturité politique qui consiste à capituler devant l'ordre patriarcal, en théorisant sa propre reddition comme acte d’émancipation.
Encore une fois, nous assistons à une incapacité fondamentale à concevoir l'alter-égalité. La réflexion qui nous est servie s’avère tout aussi inapte à érotiser l'égalité. En confondant délibérément conflictualité et oppression, Bahaffou limite l'imagination érotique au seul scénario patriarcal disponible. Son érotisme prétendument « risqué » nécessite toujours un différentiel de pouvoir. Au contraire, une sexualité authentiquement débarrassée des logiques patriarcales constitue un face-à-face électrisant entre deux consciences entières, deux altérités chargées de tension créatrice et charnelle, de puissance mutuelle, de mémoire et de failles qui se complètent sans s'exploiter. Deux présences capables de se désirer intensément sans jamais se réduire.
Un désir d'égaux qui ni ne s'écrasent ni ne s'absorbent, mais s'embrasent mutuellement, demeure particulièrement ardu à concevoir pour les psychismes hétérocaptifs tels que celui depuis lequel s'exprime l'autrice. Ce désir-là est d'autant plus rare qu'il ne génère aucun marché, qu'il résiste à toute production culturelle comme à toute commercialisation dans notre société. Il ne fait pas vendre. Il est exigeant, radical, et n'appartient ni à l'opium du romantisme patriarcal ni à sa version fétichisée en latex bio éco-responsable.
Dans « Hitler faisait bander les fascistes : incels, désir fasciste et ordre disciplinaire », Bahaffou accuse les féministes radicales de vouloir « contrôler la sexualité des hommes ». Cette accusation est absurde. Ce sont précisément les hommes qui anéantissent et contrôlent la sexualité des femmes à travers l'industrie du sexe, qui leur imposent l'hétéropatriarcat comme horizon indépassable. Ce que Bahaffou reproche en réalité aux féministes radicales, c'est de ne pas trouver l'exploitation sexuelle excitante. De refuser de jouir de leur propre soumission au désir patriarcal. Elle inverse systématiquement les responsabilités, accuse la résistance féministe de droitisation bourgeoise et présente la dénonciation féministe du viol comme une dérive réactionnaire. Un tour de passe-passe idéologique qui transforme les bourreaux en victimes et les résistantes en oppresseuses.
Derrière les prétendus paradoxes subversifs qu’elle expose, son discours ressasse une antienne séculaire de la libération sexuelles des 60-70, celle qui a avant tout libéré la sexualité masculine : les femmes doivent subir à contrecœur les assauts masculins pour ne pas être stigmatisées en tant que bourgeoises frigides (« psychologiquement pures »). C'est un discours de proxénète, une idéologie de justification du viol adaptée aux communautés et cercles militants queer-masculinistes contemporains. Elle s'efforce de rethéoriser la dissociation, le traumabonding et la normalisation de l'abus comme fondements d'un monde meilleur. Rethéoriser, car elle ne cherche plus à naturaliser biologiquement ce discours, comme l'ont fait les masculinistes traditionnels avec leur évopsy de pacotille, mais à le présenter comme une déconstruction progressiste révolutionnaire. C'est tante Lydia qui se teint les cheveux en bleu-rose. Bahaffou ambitionne ainsi de réhabiliter le traumabonding et de le baptiser en progrès féministe.
On retrouve aujourd'hui cette logique masculiniste dans les déclarations d'Anna Estevao, avocate de Puff Daddy, concernant Cassandra (son ancienne compagne et victime de dix années de sévices sexuels, qu'il exploitait dans ses orgies baptisées « Freak Off ») ainsi que trois autres femmes victimes. Selon cette défenseuse zélée, Cassandra était « solide et décidée », « une partouzeuse enthousiaste et consentante ». Si aujourd'hui, des années après les faits, elle se montre « pétrifiée de gêne et d'émotion » face au récit de son calvaire, c'est, affirme cyniquement l'avocate, que ces événements seraient devenus « inexplicables ».
Butler Vs Bahaffou
Dans les années 1980, avant de sombrer dans le bavardage post-structural nébuleux et les compromissions douteuses, Judith Butler rédigeait un essai intitulé « Lesbian S&M: The Politics of Dis-Illusion » (publié dans le recueil féministe radical Against Sadomasochism, 1982). Dans cette analyse, elle déconstruisait l'engouement de certaines lesbiennes pour les pratiques sadomasochistes, démontrant qu'elles n'avaient rien de subversif, mais reproduisaient mécaniquement les structures de pouvoir patriarcales sous le sésame du libre choix. C'est un euphémisme que d'affirmer que cette version précoce de Butler entrerait aujourd'hui en collision frontale avec les élucubrations mycéliales d’Eropolitique.
Là où Bahaffou prône avec enthousiasme une « éthique du risque » (autrement dit, du viol), Butler diagnostiquait déjà une illusion dangereuse : celle d'un pouvoir féministe prétendument reconquis, mais en réalité inféodé aux fantasmes patriarcaux. Elle démontrait que les apologistes du S&M lesbien, sous couvert de consentement et de volonté libre, s'abandonnaient en réalité à une dépolitisation qui occulte les rapports de domination historiques. La formule désormais célèbre « C'est mon choix » est nulle et non avenue face à un dispositif entièrement construit sur la domination masculine.
Butler avançait que le consentement des femmes ne peut se concevoir comme un choix véritablement libre, car il se construit lui-même au sein de rapports de pouvoir préexistants et asymétriques. (Tel le « choix » de porter le voile, le « choix » de porter des talons aiguilles, le « choix » de se plâtrer la figure et de s’épiler intégralement). Elle fustigeait les militantes BDSM pour avoir naturalisé la domination masculine et la soumission féminine, réintroduisant ainsi la hiérarchie patriarcale jusque dans l'intimité lesbienne sous le prétexte fallacieux du jeu ou de la transgression.
Là où Butler examine les réflexes conditionnés, les attachements traumatiques, les mécanismes de survie psychique camouflés en expressions de liberté, Bahaffou plonge sans retenue dans l'esthétisation post-traumatique. L'une appelle à une vigilance critique constante sur la manière dont nous intériorisons les structures de pouvoir, l'autre transforme cette aliénation en célébration festive.
Le comble surgit lorsque Bahaffou invoque Butler elle-même comme figures tutélaires légitimant son fétichisme écosexuel et son apologie du « consentement de la limite » (Il y a le bon non-consentement consenti, et le mauvais consentement consenti, nous explique-t-elle). Pourtant, elle n'a manifestement jamais lu ce texte fondamental de Butler, ni même pris acte de sa méfiance initiale envers les jeux de pouvoir sexualisés. Si elle l'avait fait, elle saurait que Butler dénonçait précisément cette glorification du fantasme prétendument privé, qui prétend s'extraire du politique alors même qu'il le reproduit à huis clos. Comme toute féministe digne de ce nom le sait pertinemment, le privé est intrinsèquement politique.
« Ce qui est problématique, c'est que le SM adopte une attitude non réflexive vis-à-vis du désir sexuel. » Ce que Butler affirmait ici, et que tant d'universitaires queer contemporains feignent d'ignorer ou enterrent sous des couches de performativité postmoderne, c'est que le désir sexuel n'est pas un sanctuaire préservé d'intimité ou de liberté absolue, mais une construction sociale façonnée par le patriarcat, la violence systémique et la domination masculine. Et que prétendre « jouer avec » cette hiérarchie sans en élaborer une critique radicale et approfondie, c'est inévitablement la perpétuer. On glisse ainsi du « désir queer » présumé émancipateur à la répétition ritualisée des scénarios traumatiques dans une circularité parfaite qui se substitue à toute réflexivité authentique.
En définitive, Butler démantèle précisément ce que Bahaffou commercialise aujourd'hui comme subversion révolutionnaire : cinquante nuances de masculinisme musqué, une mise en scène esthétisante du pouvoir patriarcal destinée aux femmes, dont les codes ne sont nullement subvertis mais simplement reproduits sans la moindre distance critique. Ou plutôt, selon la ruse favorite des fanboys trumpistes, en effectuant un 360° critique, façon « échecs en quatre dimensions », où chaque soumission constituerait un coup d'avance contre le patriarcat, chaque viol subi une feinte post-structuraliste. Plus c'est grotesque, plus c'est brillant !
En prétendant réconcilier excitation traumatique et écologie, Éropolitique se rêve en cartographie subversive des plaisirs insurgés. Mais derrière les buzzwords téléomorphes et la sporulation conceptuelle, c'est une entreprise de marcottage patriarcal qui se déroule sous nos yeux allergiques, avec la complicité enthousiaste de son autrice. Bahaffou ne démonte pas les structures de domination, elle les laisse proliférer comme des lianes parasites sur les ruines du féminisme radical. Elle les pare de fleurs synthétiques, les bouture dans le langage queer-traumatique, les greffe sur des rhizomes théoriques grassement arrosés d'oxymores. La soumission devient enthéogène, l'aliénation un passage initiatique en sous-bois humide, le viol une pollinisation sacrée. Et ce jardin empoisonné se révèle d'autant plus toxique qu'il se prétend écologiquement soutenable. Une permaculture de l'oppression, en quelque sorte, où chaque trauma se recycle en compost théorique pour nourrir la servitude de demain.