L'âgisme, la misogynie et la panique TERF
Traduction commentée d'un extrait de Hags, le dernier livre de Victoria Smith
Contextualisation : La manière dont les femmes d’âge moyen – et les mères d’adolescentes prétendument « transgenres » qui refusent d’adhérer au mythe du « mauvais corps » et de soumettre leurs filles aux thérapies de conversion modernes – sont aujourd’hui discréditées, moquées, vilipendées et démonisées n’a rien de nouveau. La séparation des femmes plus âgées des jeunes femmes, encouragées à rejeter et se dissocier de leurs mères et aînées, est même l’un des instruments de maintenance du patriarcat. Nous avions exploré ce phénomène au travers des extraits commentés du chapitre 11 de The Creation of Patriarchy de Gerda Lerner.
La rupture de la communication entre les femmes plus âgées et les jeunes femmes, les entraves à la transmission et au partage des expériences de la condition féminine (le fait d’avoir un corps de femelle de l’espèce humaine en société androcentrée) sont activement entretenues par les campagnes de propagande idéologique contre les femmes d’âge moyen et les mères qui osent s’exprimer et parler publiquement, telles que l’autrice JK Rowling, la professeure de philosophie et autrice Kathleen Stock, la militante des droits des femmes « quatre-fois-mère » Kellie-Jay Keen-Minshull, la journaliste et militante des droits des femmes Julie Bindel, et en France, l’autrice Dora Moutot, ou encore récemment la gérante lesbienne et militante des droits des femmes Orane Guéneau, et tant d’autres encore. Le harcèlement massif, les menaces de violences et de mort, ainsi que les violences effectives, orchestrées par des meutes de militants misogynes envers ces femmes visent à dissuader toutes les autres de s’exprimer, et surtout, visent à dissuader les plus jeunes d’écouter les plus expérimentées et de s’associer à elles.
L’extrait suivant, tiré du chapitre 8 « Vieilles sorcières mortes » (Dead Hags) de Hags, the demonisation of middle aged women (« Vieilles sorcières, la diabolisation des femmes d'âge moyen », non traduit) par Victoria Smith, analyse les violences misogynes actuelles déployées par le militantisme transgenre au regard des violences misogynes d’autres époques, mettant leurs similitudes en exergue.
Comme l’a twitté JKR : « “Féminazi”, “TERF”, “sorcière”. Les temps changent, la haine des femmes est éternelle. »
Extrait traduit ci-dessous :
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« Tu ne laisseras pas vivre une vieille sorcière » : l'âgisme, la misogynie et la panique attisée à l'encontre des TERF
Immoler des femmes sur bûcher était l’illustration parfaite de l’acte de taper sur plus fort que soi (punching up). Allez, admettez-le. Les sorcières étaient de connivence avec le diable, et si cela n’est pas comparable à être un nazi, je ne vois pas ce qui pourrait l’être.
Évidemment, je plaisante (ou presque). Je n'approuve pas le fait d’envoyer qui que ce soit au bûcher ni de donner des coups de poing ascendants, descendants ou latéraux. Néanmoins, je pense qu'il est important de se rappeler que parmi ceux que l'histoire considère maintenant comme les méchants, nombreux ne se considéraient pas comme tels à l’époque des faits. À y regarder de plus près, leurs propres récits des évènements ressemblent souvent à ceux des gentils, lesquels ne se sont pas à ce point égarés.
En écrivant sur les bûchers de sorcières contemporains dans les communautés rurales de Zambie, dans Une guerre mondiale contre les femmes. Des chasses aux sorcières aux féminicides (Éditions La Fabrique, 2021), Silvia Federici remarque que les femmes âgées sont aujourd'hui chassées comme sorcières parce qu'elles sont considérées comme des « poids morts, comme l'incarnation d'un monde de pratiques et de valeurs de plus en plus considéré comme stérile et improductif ». Les vieilles femmes, écrit Federici, « sont perçues comme une menace particulière pour la reproduction de leurs communautés, car elles détruisent les récoltes, rendent les jeunes femmes stériles et accumulent ce qu'elles possèdent. » :
En d'autres termes, la bataille est menée sur le corps des femmes, car celles-ci sont considérées comme les principaux agents de résistance à l'expansion de l'économie monétaire et, à ce titre, comme des individus inutiles, accaparant égoïstement des ressources dont les jeunes pourraient se servir. Selon cette perspective, les chasses aux sorcières actuelles [...] représentent une perversion complète de la conception traditionnelle de la création de valeur, symbolisée par le mépris que les chasseurs de sorcières affichent pour le corps des femmes plus âgées, qu'ils ont parfois qualifiées, en Zambie, de « vagins stériles ».
Mon livre ne traite pas de la Zambie rurale, mais en le relisant, je ne peux m'empêcher de penser à de nombreux thèmes que nous avons explorés dans les chapitres précédents. Nous retrouvons ici le même mépris pour le savoir des femmes âgées, la même horreur des corps ménopausés, la même conviction que le progrès a lieu lorsque les identités se construisent selon des modèles de possession (ownership) plutôt que par des relations mutuellement négociées. Et surtout, nous retrouvons la même croyance qui veut qu’une fois ces femmes disparues, la société sera enfin véritablement productive, d'une manière pure et progressiste qui transcende totalement le caractère sordide de la nature féminine (femaleness).
En observant le traitement réservé aux femmes plus âgées sur les réseaux sociaux, il est frappant de constater à quel point les justifications données aujourd’hui dans une partie du monde pour légitimer le fait d’asperger une femme d'essence, puis de l'immoler, correspondent point par point aux justifications données, dans une autre partie du monde, pour ordonner à une femme de s'étouffer avec votre bite [« choke on my dick », une insulte/menace que l’on retrouve souvent chez les transactivistes anglophones]. À chaque époque et en chaque lieu, il existe un contingent de vieilles femmes tenues pour si répugnantes, superflues et dangereuses pour l'ordre social, qu'elles méritent des violences. Si les fantasmes de misogynie violente [de la part des hommes] qui visent les femmes plus âgées ont probablement des racines psychologiques semblables à ceux qui visent les femmes plus jeunes — un ressentiment à l'égard du corps et des limites des femmes, un sentiment victimaire déplacé, de la rage face à ce qui est considéré comme des « privilèges » féminins, la revendication de services censément réservés aux femmes — ces fantasmes de violence [masculine] bénéficient également d'une forme particulière d'acceptabilité sociale [lorsque dirigés vers des femmes ménopausées]. En sélectionnant un groupe de femmes que même les progressistes autoproclamés pourraient juger (physiquement, moralement, politiquement) dévaluées ou même dangereuses, le misogyne âgiste peut s’imaginer qu’il respecte les femmes, mais pas ces femmes-là. C'est leur âme pourrie, et non pas le fait qu’elles sont des femmes qui lui pose problème.
Il n'y a rien de particulièrement nouveau dans le degré de violence hautement sexualisée dont [les hommes] menacent les femmes « qui parlent trop fort », se montrent « entitrées » ou sont tout simplement « superflues ». Il suffit de se remémorer les tortures imaginées pour les femmes accusées de sorcellerie, les instruments utilisés pour faire taire les « mégères » ou les sanctions infligées aux suffragettes. Il n’est pas seulement question de l'accès croissant à la pornographie qui, à l'ère numérique, aurait permis aux fantasmes misogynes de s'infiltrer dans d'autres domaines du discours à des niveaux jamais atteints auparavant. Car ces fantasmes misogynes violents ont toujours existé [dans l’histoire enregistrée de la civilisation du moins]. Les hommes ayant atteint un niveau de moralité prétendument élevé ont toujours été extrêmement créatifs [en matière de tortures misogynes]. Les différences résident dans la manière dont des sociétés diverses vont enrober leurs punitions, et en particulier dans l'importance de la part de piété qui accompagnera ces sanctions.
En réponse à un essai de 2013 contenant la phrase « nous sommes en colère contre nous-mêmes parce que nous ne sommes pas plus heureuses, parce que nous ne sommes pas aimées correctement et que nous n'avons pas l'apparence idéale — celle d'un transsexuel brésilien », la journaliste Suzanne Moore a reçu un nombre scandaleux d'insultes et de menaces misogynes : « Twitter grouillait de gens [d’hommes] qui me disaient qu'ils allaient me violer, me décapiter, éjaculer dans ma tête, me brûler [...] Les pires menaces venaient de gens [d’hommes] qui savaient où j'habitais et qui disaient qu'ils allaient donner un bon fisting à ma fille de onze ans à l'époque ». Abigail Shrier, qui a publié un livre [Dommages irréversibles. Le Cherche-Midi, 2020] exprimant ses inquiétudes quant à l'augmentation des transitions de filles en garçons à l'adolescence, a reçu des courriels comme celui reproduit ci-dessous (qu'elle qualifie humoristiquement de « critique réfléchie et structurée de la part de quelqu'un qui se considère sans aucun doute comme “progressiste” ») :
Je voulais juste vous faire savoir que vous êtes une putain de connasse inutile. J'espère que vous vous ferez renverser par une voiture et que vous ne vous reproduirez pas afin de ne pas transmettre aux générations futures vos idées foireuses de haine des personnes transgenres. J'espère que vous ne me rencontrerez jamais en marchant dans la rue, sale putain de connasse, parce que je vous trancherai la gorge et je baiserai votre chatte de cou nouvellement ouverte. Vous êtes une putain d'ordure, tuez-vous, sale pute.
Si le porno en ligne peut avoir une influence évidente sur les personnes qui profèrent de telles menaces [ce sont des hommes. Pfiou, Victoria, d’où vient cette tendance à employer le « people » de genre neutre et la forme passive de la main invisible alors que ce sont des hommes qui profèrent ces menaces de viol et de meurtre ?], cela me rappelle également une gravure sur bois du XVIIIe siècle décrite par Marina Warner comme « une satire contre les bas-bleus, les féministes, les femmes critiques et autres femmes aux opinions affirmées » :
« Je te rendrais bonne », déclare le docteur Lustucru tandis qu’il martèle la tête d'une femme sur une enclume. « Maris, réjouissez-vous », dit son assistant, tandis qu'une autre tête de femme, la bouche ouverte, attend son tour. L'enseigne à l'extérieur de la forge, « À la Bonne Femme », montre une femme sans tête.
[Il s’agit d’une gravure française : « Ainsi que j’ai une forge pour raccommoder les têtes des mauvaises femmes. »
Les femmes au franc-parler et leurs détestables têtes ! Elles ne sont bonnes qu'à couper, trancher, marteler, ou baiser. Ou sinon, pour plus de légèreté, à être muselée par une bride de commère. On prétendra que l’injonction au silence n’est pas la même aujourd'hui, parce qu'elle s’adresse à des femmes qui sont réellement méchantes et puissantes, dans une société qui ne réduit pas toutes les femmes au silence. Bien entendu, c'est exactement ce que les graveurs du dix-huitième siècle auraient dit (en outre, ce ne sont que des blagues en bois).
« Les sorcières, écrit Stacy Schiff [dans The Witches, Salem 1692, Little & Brown], sont souvent des femmes que nous n'aimions pas dès le départ. Elles paraissent suspectes avant même d'avoir commis leurs crimes ». Ce qui est particulièrement pervers, c'est que plus les accusations portées contre elles sont absurdes, plus les sanctions sont démesurées, plus elles semblent mériter d'être punies. La sorcière moderne par excellence est la TERF, une femme d’âge moyen à qui l'on prête des intentions et des pouvoirs ridicules, dont les paroles et les actions sont largement surinterprétées, et envers qui tout niveau de violence est jugé acceptable en réponse à son propre potentiel démoniaque, pas encore pleinement réalisé, mais très certainement insondable. Comme le qualificatif péjoratif de "Karen"*, l'appellation de TERF a pu avoir des origines spécifiques liées à un petit sous-ensemble de femmes, mais aujourd'hui il répond aux exigences généralisées et persistantes d'une misogynie âgiste, vertueuse et imbibée de porno.
[*Karen est la femme d’âge moyen "qui réclame de parler au patron." Cette caricature misogyne vise à dépeindre comme des mégères blanches privilégiées et entitrées les femmes qui ne se laissent pas marcher dessus et/ou soulèvent des questions légitimes, et donc, à la fois de les réduire au silence et de dissuader les jeunes femmes de les écouter.]
Comme l'écrit la poétesse Jenny Lindsay, elle-même victime de la chasse aux TERF, « TERF » signifie « féministe radicale trans-exclusionniste » [ce qui est déjà un «argument-bidon », car ce terme vise les femmes qui se battent pour nos droits sexo-spécifiques qui, par définition, excluent les mâles de l’espèce humaine. Le terme correct serait donc « féministe radicale mâle-exclusionniste », ce qui tout d’un coup semble parfaitement pléonastique et allant de soi] mais son usage s'est étendu au fil du temps pour inclure des femmes qui ne sont même pas féministes :
Ces dernières peuvent même reconnaître pleinement les droits trans actuels, déjà inscrits dans la loi britannique sur l'Égalité de 2010 (Equality Act). L'appellation de TERF peut aussi être étendue à des femmes qui soutiennent des mesures visant à atténuer davantage la discrimination à laquelle sont confrontées les personnes transgenres [. . .] L'aspect « excluant » du terme provient de la définition du sexe comme signifiant tout simplement la définition du dictionnaire des mots « homme » et « femme », c'est-à-dire « le mâle adulte » et « la femelle adulte » de l’espèce humaine. Ces définitions de catégories sont donc implicitement « excluantes ».
[Comme la réalité matérielle d'ailleurs. La réalité matérielle est excluante: on ne peut pas en faire ce que l’on en veut, nous ne pouvons pas transformer le plomb en or, ni l’eau en vin.]
Lindsay a été dénoncée comme TERF pour s'être opposée aux menaces de violence à l'encontre des lesbiennes qui ne souhaitent pas considérer les personnes de sexe masculin comme des partenaires sexuels potentiels. Ce qui m'est arrivé pourrait facilement arriver à n'importe laquelle d'entre vous », explique-t-elle. Cela m'est personnellement arrivé lorsque j'ai fait part de mes propres expériences de dysphorie en relation avec l'anorexie (un récit inadmissible ; soit vous vous sentez « chez vous » dans votre corps sexué, soit vous n'êtes pas du tout de ce sexe). Une fois que l'étiquette est apposée, il est impossible de s'en défaire.
Dans sa dissertation sur l'emploi du terme, Anna-Louise Adams estime que TERF est « une étiquette sexuée, employée par les hommes pour légitimer un langage et un comportement misogynes » :
Le terme TERF est en soi employé pour décrire des femmes tout en déployant une rhétorique violente telle que : frapper une TERF, violer une TERF ou tuer une TERF, ce qui met en évidence sa nature déshumanisante. En outre, un certain nombre de participantes ont déclaré avoir vu le mot TERF employé avec des mots désignant la malpropreté, la saleté ou la maladie.
Adams m’a dit que les femmes qu'elle a interrogées ont eu l'impression que ce terme était également assimilé aux notions de « vieille » et « lesbienne ». Dans un billet de blog sur la question de savoir si TERF constituait ou non une injure, la professeure Deborah Cameron donne quelques exemples de son utilisation :
« sales terf de merde vous devez bien être dégoûtées de ne plus pouvoir vous en prendre aux trans ! »
« Je sens une TERF et elle pue la merde »
« Si je découvre que vous êtes une TERF je vous tuerai, putain, toutes les TERF qui existent doivent mourir. »
« pourquoi les terfs ont-elles le droit d’exister: rassemblez toutes les terfs et tous leurs amis pour faire bonne mesure puis égorgez-les une par une. »
« si vous rencontrez une terf en liberté, balancez-la dans la benne à ordures la plus proche. N'oubliez pas : la propreté des rues est l'affaire de tous. »
Le langage est nécessairement extrême parce que les « péchés » des TERF ne peuvent être compris qu'en référence aux fantasmes misogynes dont elles sont l'objet. Sans ces fantasmes, on pourrait penser que les TERF sont des femmes ordinaires ayant une notion de base du patriarcat et/ou une compréhension de l'importance politique de la reproduction humaine (ce qui est exactement ce que les TERF veulent que vous pensiez d'elles). « Il y a des jeunes femmes qui commencent à employer le terme (TERF) parce qu'elles remarquent en premier lieu les réactions [sur les réseaux sociaux] à l’encontre de celles qu’il désigne, et elles pensent alors que ces femmes doivent vraiment être horribles », dit Adams. « Et il y a toujours tout un discours hyperbolique autour des femmes dites TERF, comme le fait de “littéralement tuer les trans”, “littéralement mettre en œuvre de la violence” [...] Un cercle vicieux se met alors en place, celui de rejeter les opinions de quelqu’un, de légitimer la violence contre elle, de penser qu'elle doit être une mauvaise personne, puis quelqu'un d'autre arrive et vous voit le faire, donc il en rajoute à son tour ». [C’est ce qui s’est passé avec J.K. Rowling.]
Dans les chapitres précédents, j'ai montré que les femmes plus âgées pouvaient devenir le réceptacle de préjugés et de projections d'autres personnes, des figures symboliques qu'il est acceptable de haïr en raison de toute la malveillance projetée sur elles, lesquelles en incarnant des choses mauvaises et régressives — la mortalité des corps, la saleté, les limitations — qui n'auront bientôt plus aucune espèce d'importance*, vont purifier les autres.
[C’est ici le principe du Carmentran, rituel de purification provençal durant le carnaval et dont les racines remontent aux rituels proto-patriarcaux de sacrifice du tanniste/du pharmakos du roi, celui qui meurt à la place du roi pour que le printemps et la fertilité reviennent. Le Carmentran est investi de toutes les mauvaises choses qui se sont produites durant l’année, puis est brûlé sur la place publique.
*Parce que le progrès et la technologie aboliront le sexe, la sénescence et les inégalités, etc., selon l’idéologie transgenriste des hommes tels que Rothblatt]
Au cours de l'été 2020, à la suite de la publication sur le blog de Rowling d'un article sur le sexe et le genre [lien en français], des manifestants ont jeté de la peinture rouge, censée représenter du sang, sur une impression des empreintes de mains de JK Rowling dans une rue d'Édimbourg. Le message — qu'elle avait du sang sur les mains — était totalement ridicule, mais cela n'avait pas d'importance. Il ne s'agissait pas de répondre à une hypothétique monstruosité de Rowling, mais de la transformer en monstre en la traitant comme telle. C'était l'ampleur de l'agression misogyne dirigée contre Rowling sous la forme de vandalisme, d'autodafés, de menaces de viol et de mort qui la condamnait, et non pas ce qu'elle avait écrit. Comme l'a twitté une universitaire anonyme, « lorsque vous êtes à l'extérieur de la mêlée sur les questions de genre, il est tentant de dire : “Si une personne est harcelée pour son discours, c'est qu'elle a dû dire ou faire quelque chose d'horrible” » :
Le crime et la punition doivent correspondre, en remontant à partir de la gravité de la sanction. Par exemple, si la réaction à ce qu'a dit @jk_rowling est si intense, c'est qu'elle a dû dire ou faire quelque chose de vraiment horrible — sinon, personne ne proférerait de menaces de mort contre elle. Autrement, ce serait pure folie.
Les immolations rituelles de sorcières en tant que telles, écrit Anne Llewelynn Barstow dans Witchcraze, « ont appris aux gens que le “crime de la femme” méritait le châtiment le plus sévère possible, que les femmes, lesquelles jusqu'à cette époque avaient rarement été désignées publiquement comme des criminelles, étaient capables de commettre le mal ultime ». Le châtiment ne correspond pas tant au crime qu'il ne le définit.
Il est très difficile d'expliquer aux gens que ni J.K. Rowling ni les mères du réseau Mumsnet — ou, par extension, cette femme blanche d'âge moyen qui vous a regardé bizarrement dans une file d'attente — ne fomentent pas un meurtre de masse, même si toute une armada de gens en ligne leur répond comme si c'était effectivement le cas. La misogynie dirigée contre Rowling pour ce qui n'était qu'un essai plein de compassion, ne prônant de violence contre personne, était hors norme. « Pouvons-nous arrêter de parler de la “variante anglaise” ? » a twitté un plaisantin au plus fort de la panique provoquée par une nouvelle variante de Covid. « Son nom est J.K. Rowling. » Bien que la misogynie woke sur le thème du Covid [oui, l’Académie dit « de la » Covid. L’Académie est une institution sexiste parasitaire entretenue avec nos impôts] soit très loin d'être originale (souvenez-vous de la blague sur la « deuxième vague problématique » [rapprochement entre la seconde vague de covid et le féminisme de seconde vague], en 2020, c'était un moyen facile et d’actualité pour obtenir des « likes » et des « followers ». « Je n'en reviens pas », avoue un·e internaute, dans ce qui est peut-être la réponse la plus triste à la « blague », « d'avoir vu Rowling décider d'afficher ses opinions controversées en public. Elle aurait pu rester dans l'histoire comme l'une des plus grandes autrices britanniques, mais maintenant elle est stigmatisée. Mais pourquoi ? À quelle fin ? C'est ahurissant. » La culture de la chasse aux sorcières rend inexplicable aux yeux des gens le fait que des femmes continuent à s'exprimer publiquement en dépit de l’énormité de ce qui leur en coûte, que ce soit au niveau personnel ou économique et social.
Les misogynes, quel que soit leur style ou l’endroit où ils vivent, confèrent à leurs cibles un pouvoir qui rend leurs propres menaces nobles et courageuses, tel un outsider prenant position pour une cause juste. En tant que terme haineux, TERF s'appuie sur le mythe de la femme blanche d’âge moyen entitrée [la Karen] et qui se trouve du mauvais côté de l’histoire. En associant des accusations d’« essentialisme biologique » à cette femme tout à la fois has-been, surpuissante, mais aussi en voie d’extinction, les jeunes femmes sont encore une fois fortement encouragées à couper les ponts avec les femmes plus âgées, au motif qu'admettre le fait de partager une expérience qui exclut les hommes relèverait du sectarisme (bigotry).
Malgré le nombre de femmes plus âgées de couleur — Maya Forstater, Linda Bellos, Allison Bailey — qui ont été publiquement dénoncées comme étant des TERF, on s'appuie sur l'idée que penser que la biologie féminine et les expériences du corps féminin revêtent une importance [politique] revient à adhérer au suprémacisme blanc. C’est ainsi que la misogynie se voit légitimer au moyen de « l’archétype de la femme blanche d'âge moyen » en associant la reconnaissance de l'importance biologique et politique de la nature féminine (femaleness) à « la fiction d'une expérience féminine uniforme ».
Ce dont les femmes parlent lorsqu'elles racontent l'histoire de leur corps et partagent leur expérience de la nature féminine (femaleness) dans une multitude de contextes sociaux et politiques est déformé et présenté comme un récit fixe et excluant [les seules personnes qui en sont exclues sont… les mâles de l’espèce humaine, lesquels peuvent bien faire l’expérience de diverses masculinités, mais jamais de la féminité]. L'histoire de nos vies dans un corps féminin au fil du temps [et de son développement] — ce que cela signifie socialement, politiquement et personnellement, ainsi qu’à travers d'autres axes d'oppression, en tant qu'individue ou en association avec d'autres femmes — est présentée comme la propriété d'une classe de méchantes dinosaures réactionnaires souffrant d'un syndrome de Diogène.
[Référence aux propos de David Lammy, à ce moment secrétaire d'État britannique à la Justice du cabinet fantôme, qui a qualifié les députées favorables à la sauvegarde des droits sexo-spécifiques contre les lois transgenres de « dinosaures qui accumulaient compulsivement des droits ».]
Ainsi, au nom de « l’inclusion », cette histoire est retirée à toutes les femmes parce qu'elle ne peut plus être partagée, ni entre les générations, ni entre les classes socio-économiques, ni entre les races. En présentant la condition féminine comme une propriété que seules de vieilles bigotes privilégiées voudraient situer dans un contexte politique, les chasseurs de TERF rendent une fois de plus socialement acceptable — voire vertueux — le fait de propager l’idée fallacieuse d’une suprématie féminine [« les femmes ont le pouvoir, les hommes sont des victimes »], ce que les activistes des droits des hommes (les masculinistes) rêvent de faire depuis des décennies, et ce à quoi les chasseurs de sorcières originels ont particulièrement excellé [l’Inquisition et les centaines de milliers de femmes torturées et tuées sous prétexte qu’elles avaient des pouvoirs magiques diaboliques].
[Pour la team premier degré, le passage qui suit est hautement ironique : ]
Il n'y a, bien sûr, « aucune preuve » que le fait que des personnes [hommes] fantasmant régulièrement sur le fait de blesser et de tuer des TERF ait quelque chose à voir avec le renforcement de normes sociales qui justifient la violence réelle à l'égard des femmes. Dans ce cas, les mêmes règles que celles régissant l’influence de la pornographie s’appliquent. Comme toutes les personnes intelligentes et sophistiquées le savent, regarder de la pornographie violente n'incite aucunement les hommes à tuer des femmes, puisque ce sont, au contraire, les féministes critiques de la pornographie violente qui produisent la stigmatisation qui en retour incite les hommes à tuer les femmes dans l'industrie du sexe. De même, menacer les lesbiennes de violences sexuelles n’est pas du tout une incitation à la violence, alors que c’est le cas des femmes qui s'opposent à ce que les hommes menacent des lesbiennes de violences sexuelles. Les mots ne sont que des mots, à moins que les femmes ne les emploient, auquel cas il s'agit d'une violence réelle nécessitant des actes spécifiques d'autodéfense.
Un article publié en novembre 2020 par le Rewire News Group (répertorié dans la catégorie « droits humains ») délivre des conseils sur la manière de gérer « une TERF au dîner familial de Thanksgiving »
Lancez-leur la dinde dessus. Si vous n'avez pas la force musculaire pour lancer la dinde, vous pouvez opter pour quelque chose de plus facile à soulever, comme une poignée de purée de pommes de terre ou de farce. Une tarte à la crème peut également faire l'affaire, avec un effet comique supplémentaire.
Il est difficile d'interpréter « une TERF au dîner familial » comme signifiant autre chose que « une parente plus âgée ». Difficile aussi de voir « l'effet comique » d'une suggestion qui rappelle à la fois les statistiques sur les féminicides, qui montrent que les femmes âgées sont victimes de meurtre non seulement de la part de leurs partenaires intimes, mais aussi de la part de parents masculins plus jeunes, comme en témoigne cet épisode spécial de Noël du feuilleton EastEnders en 2001 dans laquelle Evil Trevor enfonce le visage de « Petite Mo » [sa femme] dans son dîner. (À l'époque, nous pensions qu'il s'agissait d'une dénonciation frappante des humiliations liées aux violences domestiques alors qu’en fait nous rations simplement la blague.)
« Chaque mouvement en faveur des droits civiques », déclarait un abonné Twitter en février 2021, « a donné lieu à des effusions de sang. Lorsque les TERF commenceront à être tuées, les lois changeront. » Une féministe septuagénaire ans a été agressée à Hyde Park Corner en raison de ses opinions (tout simplement féministes) sur le sexe et le genre [elle portait juste un tee-shirt qui disait en Maori « femme : femelle humaine adulte »). Le membre d'un groupe punk qui écrivait des paroles de chanson sur le fait de tuer les femmes qui « mégenraient » [AA1] les trans s’est ensuite révélé être un agresseur sexuel en série. Nous ne sommes pas censées mentionner de telles choses, car cela est considéré comme de la triche. Soit il n'y a aucune preuve du préjudice qui vous est fait, soit vous vous servez des preuves de ce préjudice pour déformer la réalité et les intentions de tous vos adversaires. [Pile, ils gagnent, face vous perdez.]
Je ne pense pas que les hommes en désaccord avec les femmes sur des sujets tels que le sexe et le genre soient nécessairement plus enclins à violer et à battre des femmes. Je suspecte en revanche que les hommes qui écrivent des paroles de chansons, tiennent des discours et twittent sur le fait de violer et de tabasser des femmes sont plus susceptibles de le faire. Et c'est le cas.
Victoria Smith