Misogynie, lesbophobie et... gayporn
Les lesbiennes consomment-elles du gayporn masculin ?
« La misogynie inhérente au porno est l'une des principales raisons pour lesquelles les lesbiennes n’en consomment pas. Ce n'est pas fait pour nous. Les femmes n’ont pas des relations sexuelles entre elles en portant des talons aiguilles de 10 cm et en s’agrippant avec des prothèses d’ongles à paillettes de 5 cm de long [et en s’enfonçant d’énormes godes dans le luc] : ça, ce sont les fantasmes d’hommes qui s’imaginent des femmes en train de s'envoyer en l'air. Il est cependant prouvé que les lesbiennes regardent du gay porn masculin - peut-être parce que c'est le seul type de porno exempt de misogynie. »
Cet extrait vient de l’article de Julie Bindel, « Le porno lesbien n’existe pas », publié le 15 mars 2024 sur UnHerd.
Pour étayer la première partie de cette affirmation extraordinaire, Julie Bindel nous renvoie vers : « Les lesbiennes qui apprécient le gay porn masculin », un article écrit par un journaliste gay, Jacob Bernstein. Surprise par cette affirmation, je suis allée voir de plus près.
La Fraternité des Peuples par Aimé Jules Dalou (1883), salle des mariages de la mairie du 10ème arr Paris.
Ces jeunes femmes bi ou hétéros qui consomment du YAOI
J’ai expliqué à l’occasion de divers billets pourquoi les adoes et les jeunes femmes pouvaient être attirées par certains types de YAOI (animes figurant des relations homosexuelles masculines, généralement créé par des femmes) et de gayporn. Pas n’importe quel type. Pas celui qui reproduit les stéréotypes hétérosexuels et dans lequel on retrouvera un homme viril dominant et un homme plus frêle et soumis, mais celui qui présente deux alter ego (alter-égaux) dans une relation égalitaire.
Attention, je vais dire quelque chose de terriblement choquant, préparez-vous : l’égalité est quelque chose de très sexy. L’histoire d’alter égaux qui se rencontrent est excitante. Vous ne savez jamais comment les choses vont se passer et vous vous laissez emporter dans un scénario et une histoire, bien plus intéressante que les scènes de cul en soi – celles-ci apportant une sorte de plus-value.
Pourquoi est-ce intéressant pour les femmes bi/hétéros ? Car cela supprime la misogynie et la position subalterne qui nous est inévitablement assignée dans les représentations sexuelles hétéros. Les mêmes stéréotypes sont à l’œuvre dans les représentations de domina et de leur soumis, pur fantasmes masculins frisant avec l’autogynéphilie. Le BDSM et ses légions d’hommes « soumis » recoupent la « sissyfication » et le sissy porn, voie royale vers le travestisme sexuel.
Avec Nicolas Casaux, nous traitons de ce sujet sur Le Partage et dans notre livre. Dernièrement, il en a parlé sur son Substack. Dans son billet, il épingle le transactiviste Andrea Long Shu qui a récemment affirmé, après les révélations scandaleuses de la WPATH venant de mettre un terme à la médicalisation des enfants au Royaume uni : « Nous devons être prêts à défendre l'idée qu'en principe, tout le monde devrait avoir accès à des traitements médicaux de changement de sexe, indépendamment de l'âge, de l'identité de genre, de l'environnement social ou des antécédents psychiatriques. »
L’inversion des rôles rencontrée dans le BDSM via les soi-disant dominas et leur soumis n’est ainsi qu’un autre fantasme masculin basé sur la dynamique d’un très fort différentiel de pouvoir qui ne remet nullement en cause la hiérarchie sexuelle. Boring. Au contraire, cette inversion est au profit l’imaginaire patriarcal.
Pour revenir à nos Brokeback mountains, dans ce type de YAOI /GP il est question de deux égaux. Les jeunes femmes qui ne se reconnaissent pas dans/et ou refusent de s’identifier à la culture pornographique misogyne – et la culture misogyne tout court – où la femme est asservie et posée en subalterne (celle qui encaisse, prend cher, se fait désosser, défoncer, attacher, torturer, gang banguer, bukakéfier, et j’en passe. Merveilleux n’est-ce pas ?), découvrent alors des alternatives radicales à travers le YAOI et certains types de gayporn.
Leur imagination érotique se forme et se déploie à travers ces nouvelles représentations, l’identification survient. Envoyez vos filles prendre régulièrement l’air à la montagne, faites en sorte qu’elles aient des activités sportives ou artistico-sportives et ne restent pas collées à leur écran. Il s’agit pour elles de rester ancrées dans le réel, c’est-à-dire connectées à leur corps.
L’imaginaire se construit, l’identification s’opère et peut ensuite se trouver renforcée par la pratique du role-play (ou « jeu de rôle littéraire ») sur des forums RPG ou dans des mondes virtuels persistants tels que Second Life, dédiés – entre autres – au role-play. Le virtuel est par définition dissociant.
Helen Joyce, ancienne éditrice en cheffe de The Economist et autrice de TRANS, Director of Advocacy de Sex Matters est en train d’investiguer sur ce phénomène répandu parmi les adoes et les jeunes femmes bi/hétéros qui se disent hommes trans. La cible de son enquête porte sur les forums de fan fiction, dont certains sont entièrement dédiés aux relations homos entre des personnages fictionnels célèbres. À travers la fan fiction, des jeune femmes (et des hommes gay) écrivent des scénarios parallèles au folklore cinématographique menant à des relations homosexuelles masculines.
(Pour la science, tapez Harry Potter fan fiction dans google image.)
Les lesbiennes aiment le gayporn ?
L’affirmation est extraordinaire. Certaines raisons données dans l’article (qui n’est pas une enquête) sont que le gayporn leur permet d’écarter l’élément de la misogynie. Certes. Mais la comparaison s’arrête là.
L’article présente un discours de femmes lesbiennes manifestement colonisées par l’hétéronormativité. Leur imaginaire érotique semble formaté sur l’imaginaire hétéro mainstream, celui des hommes. Mais tandis que le porno mainstream figurant des femmes avilies et brutalisées, aux physiques et attitudes stéréotypées, les refroidit entièrement, le gayporn mettant en scène des hommes dans une situation d’« infériorité » sexuelle leur permettrait ainsi d’indulger leur conditionnement érotique. C’est ce que certaines expliquent.
J’appelle ceci excitation traumatique. Être excitée par un différentiel de pouvoir, c’est le résultant d’un dressage culturel en société stratifiée. Ces choses n’existent ni dans les sociétés de chasse-cueillette égalitaires ni dans les sociétés de subsistance matrilocales égalitaires. Une autre raison avancée par les lesbiennes interviewées est de prendre du plaisir à une sorte de revanche sexuelle en voyant un homme dépouillé de son pouvoir. (Oui, vous pouvez faire les yeux ronds.)
Pour Alex [une femme], des désirs plus profonds, moins politiquement corrects, sont également à l'œuvre. « Pour moi, il s'agit en partie de l'envie d'avoir une bite », dit-elle. « J'ai toujours été fascinée par la tuyauterie - si j'avais une bite, comment fonctionnerait-elle ? »
De nombreuses lesbiennes identifieraient ici le discours patriarcal freudien de base. L’envie de pénis. Mais certaines d’entre elles avoueraient en même temps que c’est une envie qu’elles ont éprouvée, lorsqu’elles voulaient pouvoir faire l’amour aux femmes « comme des hommes ». J’ai bien été obligée d’y reconnaître une forte dissonance cognitive à l’œuvre, lorsque j’ai eu cette discussion avec une femme lesbienne « depuis toujours », qui échappa de peu au culte transgenre. Je pense qu’il s’agit de désirs traumatiques, d’automisogynie et au final, de lesbophobie, et que cela ne se règle pas avec de la pensée magique, mais par une psychothérapie.
D'autres pensent que cette fascination particulière [par le gayporn] est en grande partie métaphorique, la possibilité de voir notre désir être extériorisé, un point que le personnage de Julianne Moore soulève dans le film. « Je n'ai aucune attirance sexuelle pour les hommes », a déclaré la comédienne Judy Gold. « Mais je pense qu'il y a quelque chose dans le fait de voir un pénis en érection qui excite les lesbiennes. Car que feriez-vous avec une femme ? Prendre un télescope, une éponge et une serviette en papier ? »
Allons-y ensemble : What the actual fuck?! Plus lesbophobe, tu meurs. On dirait les bigardiens sur Twitter : « Comment font les femmes entre elles ? Sans bite, ce n’est pas du vrai sexe. » Sérieusement, les meufs, vous sciez la branche. Variante : on n’a pas le cul sorti des ronces, pardon my French.
« Il s'agit d’une dynamique de pouvoir », a-t-elle déclaré. « Nous sommes tellement habituées à voir des hommes exercer leur pouvoir dans notre vie. Le porno gay est l'occasion de les regarder se faire encu---. »
Mouais.
Vous ai-je déjà dit que c’était un homme gay qui a écrit cet article ? Oui, je l’ai déjà dit.
Puisque des lesbiennes « hétéronormatives » consommeraient du gayporn (cette portion de phrase est juste fascinante), il serait intéressant de savoir s’il y a des lesbiennes qui en consommeraient pour les raisons évoquées plus haut. C’est-à-dire, pour cet aspect de « relations sexuelles égalitaires » entre hommes qui écarte automatiquement la misogynie et les relations hiérarchiques de l’équation. (Donc plutôt du YAOI créé par des femmes.) Cette absence de hiérarchie permet aux femmes bi/hétéros de laisser libre cours à un érotisme non entaché de stéréotypes misogynes.
Au final, les raisons avancées par l’article de Jacob Berstein, selon lesquelles les lesbiennes apprécieraient le gayporn, sont assez problématiques, voire carrément lesbophobes. Si vous êtes lesbienne et comprenez ce dont il a été question dans ce billet, je serais intéressée par votre perspective.