Katie Ledecky détient le record du monde féminin du 800 mètres nage libre. 26 garçons américains de moins de 17 ans l'ont dépassée.
(Illustration du Washington Post ; iStock)
Article original par Doriane Lambelet Coleman, le 16 août 2024 pour le Washington Post.
Traduction commentée.
Doriane Lambelet Coleman est professeure titulaire de la chaire Thomas L. Perkins de droit à Duke. Son dernier ouvrage s'intitule « On Sex and Gender - A Commonsense Approach » (Du sexe et du genre - Une approche pragmatique).
Suite à la polémique qui a fait grand bruit lors des Jeux olympiques de Paris, une question capitale concernant le sport féminin de haut niveau reste en suspens : Qui devrait être autorisé à concourir dans la catégorie féminine ? [Une idée en l’air juste comme ça : les femmes ?]
Pendant les Jeux, deux boxeus·es jusque-là méconnu·es se sont retrouvé·es au cœur d'une tempête médiatique mondiale. Le débat portait sur la pertinence des tests génétiques pour les exclure de la division féminine, tandis que le Comité international olympique n'exigeait qu'un passeport [et un test de « non grossesse »] comme critère de participation. Les responsables olympiques ont certifié que les deux athlètes n'étaient pas transgenres, mais ont botté en touche concernant la possibilité qu'iels soient atteints d'un trouble du développement sexuel XY, ou DSD XY.
Quel que soit le dénouement de ces affaires, il est évident que les instances sportives doivent s'accorder sur une norme cohérente. En tant qu'ancienne athlète de haut niveau et conseillère auprès des instances dirigeantes du sport sur leurs règles d'éligibilité pour la catégorie féminine, je suis convaincue que la compétition dans les sports féminins d'élite doit reposer sur le sexe - et non sur l'identité légale ou « l'identité de genre ». Cette question, ainsi que celle, connexe, de la participation des athlètes transgenres, doit être tranchée bien avant les Jeux olympiques de 2028 à Los Angeles, afin d'éviter de reproduire les erreurs du passé.
En 2019, le Tribunal arbitral du sport a mis en lumière une « surreprésentation frappante d'athlètes mâles XY atteints de troubles du développement sexuel (DSD) sur les podiums féminins, et ce depuis des décennies ». Les DSD XY en question [précisément le DSD 46 XY 5-ARD] sont des pathologies touchant les mâles.
[Les hommes atteints du DSD 46 XY 5-ARD ne représentent qu'une naissance sur 20 000 dans la population générale et se retrouvent pourtant dans une proportion de 1 pour 421 athlètes en catégorie féminine. Cela signifie qu'ils sont surreprésentés 47 fois plus dans le sport féminin que dans la société en général.
Dans ce qui suit, nous remplaçons la formulation floue de l'autrice « DSD XY » par le DSD 5-ARD en question. En effet, il fait figure d'exception parmi les DSD masculins en conférant l'avantage d'un corps d'homme typique sans le revers d'une condition incompatible avec la pratique d'un sport au plus haut niveau.
Il est également inutile de sortir un lapin du chapeau en prétendant que des « femmes XY » (telles que les femmes atteintes du syndrome de Swyer) pourraient concourir en catégorie féminine malgré un caryotype « XY ». Leurs problèmes de santé sont loin d'être anodins. Néanmoins, si elles souhaitaient concourir, elles en auraient le droit : elles sont femelles et leur DSD ne leur offre aucun avantage physiologique masculin. Qui plus est, lors du dépistage génétique (prélèvement buccal) du gène SRY, « faiseur-de-mâle », leur résultat serait négatif. Voir ici pour plus de détails sur cette condition spécifique de DSD femelle.]
Voici quelques exemples récents de podiums olympiques en athlétisme qui illustrent ce phénomène : Aux JO de Tokyo en 2021, un sprinteur atteint de ce DSD a décroché l'argent au 200 mètres féminin. À Rio de Janeiro en 2016, trois athlètes XY DSD [46 XY 5-ARD] ont raflé la mise au 800 mètres féminin. À Londres en 2012, le même athlète qui a remporté l'or à Rio est passé de la médaille d'argent à la médaille d'or après que la gagnante initiale a été prise la main dans le sac pour dopage.
[Étant donné qu’elle savait devoir concourir contre des hommes …]
Pour trancher dans le vif de ce problème épineux, la World Athletics et la World Aquatics, entre autres, ont établi des règles de participation minutieuses et scientifiquement étayées, s'appuyant sur des marqueurs génétiques et hormonaux. Grâce à ces mesures, les polémiques des Jeux précédents n'ont pas fait de vagues en athlétisme ou en natation à Paris.
Le sport de haut niveau a pour vocation d'identifier et de mettre en valeur les meilleur·es athlètes - hommes et femmes - tout en générant des retombées économiques, politiques, de développement et de santé pour les parties prenantes et la société dans son ensemble.
En raison des disparités biologiques entre les sexes en termes de force, de puissance et d'endurance, on constate, selon le sport et l'épreuve, un écart de performance de 10 à 50 % entre les meilleurs athlètes masculins et féminins. La séparation des athlètes en compétition sur la base du sexe est le seul moyen de faire la part belle à la moitié féminine de la population. Aucun autre critère de sélection - que ce soit la taille, le poids ou toute autre caractéristique physique - ne permet d'atteindre cet objectif d'inclusion.
Pour s'en convaincre, il suffit de jongler avec une base de données de résultats de compétitions et d'observer ce qui arrive aux athlètes féminines lorsque les classements sont fusionnés : dès le début ou le milieu de l'adolescence, les compétitrices disparaissent des premiers rangs.
L'exemple le plus parlant est celui de Katie Ledecky, dont on dit qu'elle est « meilleure en natation que n'importe qui dans n'importe quel domaine ». Elle vient de décrocher une quatrième médaille d'or olympique consécutive - du jamais vu - dans son épreuve de prédilection, le 800 mètres nage libre.
Son record du monde dans cette épreuve - 8:04.79 - la classe seulement au 26e rang des meilleurs garçons nageurs américains de 15 à 16 ans.
Comparaison entre les nageuses d'élite et les adolescents détenteurs de records
Les 100 meilleurs temps des garçons américains de 15 à 16 ans au 800 mètres nage libre (lignes bleues) comparés aux meilleurs temps des nageuses d'élite
Temps des médaillées d'argent et de bronze à Paris
Source : USA Swimming ; Comité international olympique
Certains fervents défenseurs de la cause transgenre balaient du revers de la main le lien entre biologie et performance, avançant des explications d'ordre sociologique : Les athlètes féminines seraient victimes des stéréotypes de genre, manqueraient de financements ou seraient tout bonnement « plus lentes », autrement dit moins performantes.
Ils ont raison de pointer du doigt la persistance du sexisme dans le sport comme dans la vie, mais ils font fausse route en niant que la biologie soit le principal moteur de l'écart de performance. Comme l'a si bien dit Serena Williams, « Andy Murray me mettrait la pâtée 6-0, 6-0 ».
Au-delà du manque de respect flagrant de ces arguments - souvent brandis contre les meilleures athlètes féminines de la planète - les connaisseurs du sport savent pertinemment que Williams au sommet de sa forme ne pourrait pas tenir la dragée haute à Murray au meilleur de la sienne, peu importe son éducation, son soutien ou son entraînement.
Les militants [transactivistes/masculinistes] s'interrogent également sur la pertinence de comparer les femmes transgenres et les athlètes atteints du DSD 46 XY 5-ARD aux hommes cisgenres. Par exemple, Athlete Ally, un groupe de défense des athlètes LGBTQ+, a affirmé : « Rien ne prouve que la femme transgenre moyenne soit plus grande, plus forte ou plus rapide que la femme cisgenre moyenne. » D'autres, comme le triathlète Chris Mosier, vont plus loin en clamant que « des preuves récentes démontrent de manière écrasante que les athlètes trans n'ont pas d'avantage du simple fait d'être trans ».
Ces affirmations sont en porte-à-faux avec les données pertinentes.
[« Ces gens racontent délibérément des mensonges.]
Sans traitement médical « d'affirmation du genre féminin », les athlètes transgenres et les athlètes 46 XY 5-ARD entrent dans l'arène avec les atouts typiques du sexe masculin, qui constituent avantages athlétiques bien établis : des testicules produisant de la testostérone à des taux caractéristiques des mâles, des récepteurs d'androgènes parfaitement capables d'assimiler la testostérone, et des corps masculinisés à travers les étapes de la puberté et du développement sexuel fondamentale aux performances sportives masculines.
Les données révèlent également que les femmes transgenres athlètes de compétition ayant suivi un traitement hormonal féminisant voient leurs performances baisser - davantage dans les épreuves d'endurance et moins dans celles axées sur la puissance et la force - mais que cette diminution ne gomme pas totalement leur avantage masculin d'origine.
Les chiffres parlent d'eux-mêmes. Par exemple, après presque trois ans de traitement hormonal, la nageuse Lia Thomas, une femme trans [un homme autogynéphile et tricheur], a conservé 46 % de l'avantage masculin standard dans sa meilleure épreuve post-transition. Et ce, dans une discipline où l'écart entre la victoire et la défaite au niveau de l'élite se joue souvent à moins de 1 %. C'est précisément cet avantage de 46 %, dû à son sexe de naissance, qui explique son bond spectaculaire de la 65e place du classement masculin universitaire à la première place du classement féminin.
Lia [William] Thomas n'est pas un cas isolé : quand on dispose de données avant et après transition pour différents athlètes, on retrouve systématiquement le même schéma en faisant les calculs.
De nombreuses preuves expliquent pourquoi le traitement hormonal féminisant ne neutralise pas complètement l'avantage masculin, en particulier chez les athlètes. Cela tient principalement au fait que certaines structures du corps, comme les os et les voies respiratoires, restent inchangées, et que les muscles gardent une « mémoire de leur entraînement passé ».
Les scientifiques et militants trans ne font pas fausse route en s'intéressant aux changements physiologiques qui se produisent. Cependant, ces modifications ne changent pas la donne globale, car dans le sport, la performance est une affaire de corps tout entier.
Même une fille transgenre [un garçon auquel a été donné des bloqueurs de puberté] qui n'a pas connu la puberté masculine bénéficie d'avantages athlétiques grâce au développement sexuel masculin qu'iel a vécu durant son enfance. L'écart de performance de 3 à 5 % avant la puberté est un fait bien établi.
De plus, iel ne fera jamais face aux désavantages athlétiques propres au sexe féminin : des hanches qui s'élargissent et se déplacent vers le bas, un angle différent entre les hanches et les genoux ou les quadriceps ; un pic de performance à la maturité sexuelle et des cycles menstruels qui - au-delà des règles elles-mêmes - entraînent des périodes prévisibles de baisse d'énergie ; une laxité ligamentaire et des variations d'humeur; et parfois, la grossesse, l'accouchement et l'allaitement.
[En tant que traileuse courant de 70 à 90 km/semaine en haute saison 60/70 en hiver, et ex pratiquante de MMA japonais et de divers autres arts martiaux, je plussoie.]
Comme l'a si bien dit Elle Purrier St. Pierre, membre de l'équipe américaine, lors des épreuves olympiques en juin, au beau milieu de sa première année post-partum - son fils étant né un an plus tôt – « Les femmes sont formidables », à la fois grâce à et malgré ces différences entre les sexes.
Nier l'évidence biologique, c'est jeter un voile sur les prouesses des athlètes féminines. Cela sape également le projet féministe qui est la raison d'être même de la catégorie féminine.
Un pilier de ce projet est l'engagement des fédérations telles que la World Athletics en faveur de l'égalité des sexes. Cela signifie que les athlètes féminines ont droit aux mêmes subvenions et financements et au même nombre de places en finale, sur les podiums et dans les championnats que leurs homologues masculins.
Ces fédérations se sont aussi fixé pour mission de booster la valeur commerciale des athlètes féminines et de leurs événements. Et comme elles opèrent aux quatre coins du globe, y compris dans des contrées où la discrimination sexuelle - entendue ici comme la subordination des femmes du simple fait d'être femmes - reste monnaie courante, elles s'appuient sur la force de leur image - des athlètes féminines en pleine compétition et sur le podium - pour mettre en lumière la puissance physique des femmes et faire évoluer les mentalités. À Paris, par exemple, c'est le relais 4x400 mètres féminin qui a clôturé en beauté les épreuves d'athlétisme, et le marathon féminin qui a mis un point final aux Jeux, une grande première.
Ariarne Titmus (Australie), Katie Ledecky (États-Unis) et Paige Madden (États-Unis) à Nanterre (France) le 3 août (Natacha Pisarenko/AP).
Le podium féminin est une ressource rare, réservée aux athlètes féminines précisément en raison de notre biologie féminine distincte. C'est notre sésame pour briller au plus haut niveau. C'est aussi un tremplin inestimable pour propulser les championnes féminines et inspirer les jeunes femmes. Placer des athlètes masculins en position de champions, les voir trôner au-dessus des athlètes féminines - comme l'a fait Thomas lors des championnats NCAA en 2022 - ou même évincer des athlètes féminines - comme l'ont fait trois athlètes 46 XY 5-ARD dans la course féminine de 800 mètres aux Jeux olympiques de Rio - va à l'encontre de cette programmation.
La communauté des défenseurs des droits [masculins] bat un autre fer. Certains veulent simplement s'assurer que les athlètes trans et DSD puissent intégrer l'équipe qui correspond à leur « identité légale ou de genre ». D'autres, comme Allison Sandmeyer-Graves, directrice générale de l'Association canadienne des femmes et du sport, vont plus loin : « Tant que le système sportif ne dépassera pas ce clivage homme-femme dans le sport, le sport féminin sera, à notre sens, le terrain de jeu idéal pour les filles et les femmes transgenres. »
Mais cette approche ne passera pas auprès de la plupart des athlètes féminines de haut niveau qui sont dans la course pour gagner, pas simplement pour participer. Elles n'ont aucun intérêt à ce que les règles d'éligibilité diluent leurs chances et mettent en péril l'avenir de l'institution.
Cela ne fera pas non plus l'affaire des organismes de soutien. Leurs objectifs les amène à renforcer, et non à affaiblir, leur engagement envers les athlètes féminines et les sports féminins. Comme l'a souligné Sebastian Coe, président de World Athletics, à propos de la mission de sa fédération : « Il est absolument crucial que nous protégions, défendions et préservions la catégorie féminine. »
En fin de compte, il y a toujours une place dans les sports d'élite pour les athlètes qui se qualifient selon les critères physiques qui s'appliquent à tous - l'âge, le sexe, les compétences et parfois le poids. Personne n'est mis sur la touche s'il répond à ces critères universels.
Par ailleurs, les fédérations progressistes mettent les bouchées doubles pour s'assurer que les athlètes issus de la « diversité des genres » soient non seulement éligibles, mais aussi les bienvenus dans leur catégorie de sexe.
[C’est-à-dire, que les « femmes trans » concourent chez les hommes, et les hommes 5-ARD, eh bien, chez les hommes aussi puisque leur corps est entièrement masculinisé et ne se distingue pas des hommes typiques en dehors de l’apparence de leur tuyauterie.
Pour différence d’éthique, l’athlète transgenre Hergie Bacyadan – une femme transidentifiée en homme, soit un « homme trans » – a concouru en catégorie féminine (elle ne prend pas de testostérone). Pourquoi n’a-t-elle pas cherché à concourir avec les hommes, selon son « identité de genre » ? Question rhétorique. La seule raison qui pousse les hommes autogynéphiles (en dehors du fétichisme érotique) et les hommes avec des malformations génitales à concourir en catégorie femme, c’est parce qu’ils se savent déloyalement avantagés et que leurs coaches et sponsors véreux ont tout à y gagner.]
Il reste du pain sur la planche dans ce domaine du côté des sports masculins, qui n'ont pas le même vécu que les sports féminins en matière d'accueil de la diversité des genres dans leurs rangs, mais les choses évoluent aussi avec le temps.
[Ce n’est pas aux femmes d’accommoder les mâles qui ont des problèmes mentaux, des fétiches sexuels ou des troubles du développement sexuel. Cela vaut pour le sport et pour toutes choses égales par ailleurs.]
Certaines fédérations testent même de nouvelles catégories « ouvertes » ou « non binaires » - bien que cela se fasse souvent contre l'avis des militants [trans/masculinistes] qui voient la catégorie féminine comme « le meilleur créneau » pour tous les athlètes aux genres diversifiés. [Parce que cela leur permet de tricher, évidemment !]
Compte tenu des engagements institutionnels en faveur de la catégorie féminine, ces fédérations font feu de tout bois pour soutenir les athlètes de « genres divers ». Le temps presse pour que d'autres, y compris le CIO, leur emboîtent le pas.