Rebellyon, relais zélote de la doxa mascqueer, s'attaque à La Gryffe, librairie libertaire lyonnaise coupable d'avoir exposé en vitrine Les leurres postmodernes contre la réalité sociale des femmes (Acratie, 2023). Il s’agit d’un ouvrage analytique signé Vanina, militante féministe et anarchiste depuis les années 1970.
La scène se déploie sans surprise avec un article de délation contre la librairie pour avoir simplement exposé un livre critique du dogme transgenriste. Nulle place pour le débat, nulle contradiction argumentée. Seulement l'anathème, l'inversion accusatoire, la surveillance idéologique. Car dans tout système religieux, le blasphème est impardonnable.
L’autrice, Vanina, relate dans sa préface de son livre comment le simple fait d'en annoncer la parution à une amie féministe avait suffi à susciter son inquiétude. Nombre de thématiques féministes sont devenues taboues. (Les thématiques féministes ont toujours mis les hommes en colère, et les mascqueers ne font pas exception). Elle décrit un climat privé de liberté d'expression théorique où la moindre critique féministe de l'idéologie genriste néopatriarcale se voit aussitôt qualifiée de « transphobe », « fasciste », « antiféministe ». Les féministes n'osent plus parler, s'autocensurent, se retrouvent isolées.
Elle déconstruit l'étiquette « TERF » pour ce qu'elle est : un outil de disqualification systématique destiné à réduire au silence les femmes qui osent analyser le transgenrisme comme pur produit du patriarcat. On y perd des liens, des réputations, on en vient même à être exclues de nos cercles militants de gauche.
Vanina, qui militait alors que la plupart de ces petits soldats mascqueers étaient bien loin d’être nés, dénonce le glissement idéologique qu'elle a eu le temps de contempler. Le féminisme, au lieu de combattre l'oppression des femmes, devient un espace où l'on exige l'intégration d'hommes qui se disent femmes, au détriment de la réalité matérielle et des luttes propres aux femmes. Elle montre comment l'idéologie postmoderne née en France, et métastasée aux États-Unis dans les années 1980, désorganise la pensée féministe et sabote les solidarités.
Elle revendique une parole militante, ancrée, matérialiste, communiste libertaire, anti-patriarcale et anticapitaliste. Le livre nomme faits, effets et contradictions du dernier avatar idéologique patriarcal.
Voici le blasphème relevé (et malhonnêtement tronqué) par les petits Rebellyons de pacotille, et qui justifierait leur anathème :
L'idéologie queer « évacue le sexe des femmes (…) en vantant une caricature de la féminité censée représenter les femmes et des traitements médicaux sont prescrits pour faire pousser les seins des hommes "transitionnant" femmes. »
Malhonnêtes ou pas foutus de faire une citation correcte ? Probablement un peu des deux. Remettons la vraie citation :
Toute la biologie féminine passe en fait à la moulinette – chaque étape de la grossesse vaut par exemple aux femmes de nouveaux qualificatifs très chouettes : il y a les « porteuses d’utérus », les « productrices d’ovules », les « propriétaires de vulves », les « corps gestants », les « personnes allaitantes », etc.
Parmi les « bizarreries » de la « théorie queer », deux sont par ailleurs frappantes :
– Dans le même temps où elle évacue le sexe des femmes en occultant leur sexualité (et où les activistes postmodernes traitent d’« essentialistes » ou de « réacs » quiconque mentionne la réalité de ce sexe), elle les ramène à leur apparence corporelle en vantant une caricature de la féminité censée représenter les femmes ; et des traitements médicaux sont prescrits pour faire pousser les seins des hommes « transitionnant » femmes (ou la barbe des femmes « transitionnant » hommes).Nombre de « trans » se conforment aux stéréotypes de genre bien plus que nombre de « cis ». Ce fameux corps si décrié reste – dirait-on – une façon de définir hommes et femmes, en dépit de tout : on y revient toujours.
– Elle ignore les tâches ménagères qui, quoique fort peu ludiques, occupent une grosse portion du quotidien féminin alors qu’elles ne font pas non plus partie du vécu des hommes « transitionnant » femmes.
Est-ce par « solidarité » envers les « trans » (ou plus exactement les « transfemmes »), ou parce qu’elles-mêmes n’y sont pas astreintes, que les féministes postmodernes s’en désintéressent ?
L’autrice produit une critique argumentée de l’effacement de la réalité matérielle (biologique) et sociale des femmes par l’idéologie postmoderne. L’extrait s’inscrit dans une analyse plus large du langage neutre, de la négation de l’existence des femmes et de l’effacement des enjeux matériels de leur corps.
Ce que ces petits Rebellyons misogynes appellent « transphobie », c’est le fait de refuser que les femmes soient définies par les stéréotypes sexistes et les fantasmes masculins pornosaturés. Si vous aviez besoin d’autre chose pour démontrer que le transgenrisme est une idéologie patriarcale…
Les mascqueers, comme tous fondamentalistes religieux, haïssent la réalité. Ils ont besoin de systèmes d'inversion. Le patriarcat constitue une idéologie d'inversion, comme le démontrent toutes les religions abrahamiques. Tous les grands systèmes de pensée patriarcaux, fondamentalement dualistes, reposent sur l’inversion de la réalité sexuelle : un dieu-père créateur de la vie, une femme niée dans l’acte même de procréation. Ce renversement symbolique est au cœur de la mystification : les hommes s’autoproclament source de la vie, les femmes deviennent accessoires négligeables dans leur propre reproduction.
Misogynie et sexisme puisent leurs forces dans cette inversion. Le livre de Francine Sporenda, La mystification patriarcale, le démontre avec rigueur à travers une série d'essais analytiques ciblant les tropes cognitifs et normatifs les plus profondément enracinés dans l'imaginaire collectif. Ces inversions façonnent la socialisation différenciée des sexes et naturalisent l'infériorisation des femmes quand elles ne la déguisent pas en quelque chose d'empouvoirant.
Le patriarcat déteste la vérité, plus encore la vérité incarnée par les femmes.
Et pour avoir simplement mis ce livre en vitrine, la librairie La Gryffe subit les attaques de petits inquisiteurs néomasculinistes qui ne supportent pas qu'on gratte la surface de leurs dogmes. La néomasculinité autogynéphile, comme la virile, se révèle terriblement fragile.
Leurs érections s'effondrent face au mégenrisme. Le genre les fait bander. La réalité les fait pleurer. Ou plutôt se transformer en harceleurs masculinistes classiques. Il leur faut donc brûler les livres, expurger, interdire, accuser, purifier.
Parce qu'ils sont des hommes. Peu importent chirurgies, pronoms, fantasmes : ils restent des hommes. Même les transmen (femmes transidentifiées) sont plus femmes qu'ils ne pourront jamais l'être. Non seulement les transmen font de meilleurs hommes qu'ils ne l'auraient jamais été, mais en plus elles sont et restent de vraies femmes. Nulle chirurgie ne pourra jamais changer leur sexe non plus, et au fond, elles le savent parfaitement. Elles ont grandi dans l’oppression misogyne, elles n’ont pas la place pour les illusions. Ce luxe appartient aux petits roquets dominants. Elles continuent d'essuyer la misogynie lorsque leur passing fait défaut. Et les hommes autogynéphiles, en réalité, les haïssent pour cela. Ils les envient. Elles sont et restent des femmes. Et ils ne supportent pas cette réalité.
À la toute première page précédent la préface, Vanina dédicace un souvenir à deux anciens camarades :
Au milieu des années 1970, je vivais depuis plusieurs mois avec des camarades (donc des anarchistes, comme moi) quand j'ai découvert de façon très inopinée et fortuite que l'un d'eux avait emprunté dans ma maigre garde-robe mes affaires les plus « féminines ». Cela m'a perturbée – à l'époque, je dissimulais mes formes sous l'uniforme tunique indienne devenue l'uniforme de ma génération : quelle vision ce camarade avait-il donc de moi ? Mais j'ai su aussitôt que son comportement n'avait rien à voir avec ma petite personne : il éprouvait par moments le besoin irrépressible de mettre ce genre de vêtements pour déambuler la nuit dans la rue ainsi accoutré. S'il tardait à revenir, son amie investissait une cabine à pièces du quartier pour appeler commissariats et hôpitaux… Je dédie cet ouvrage à ces deux camarades.
Voilà le blasphème. Le récit d'un souvenir de jeunesse où Vanina découvre qu'un camarade anarchiste empruntait en cachette ses sous-vêtements pour assouvir, seul et en secret, son fétichisme de travestissement sexuel. Rien de plus qu'un fragment d'autobiographie mettant à nu ce que les autogynéphiles tentent sans cesse de cacher : une pulsion masturbatoire hétéronormative travestie en mouvement de droits civiques.
Vanina retire au fantasme son masque queer-militant, empêchant ceux qui se rêvent en femmes de bander tranquillement sur les ruines de nos réalités. Elle montre tout simplement le cœur du mouvement transgenre porté par les petits mascqueers inquisiteurs. En ébréchant les mythes qu'ils se racontent, elle les prive de bander en se prétendant ‘opprimées’. Les mascqueers cultivent un « kink du patriarcat » qui engorge leurs érections, même lorsqu’ils sont opérés1.
Et elle le dit dès la première page.
Vous trouverez de la même autrice chez le même éditeur :
Corse : la liberté pas la mort !, 1983.
Emma la Noire, 1989.
La Revendication institutionnelle en Corse – Collectivité territoriale et mouvement nationaliste, 1995.
35 ans de corrections sans mauvais traitements, 2011.
À bas le patriarcat ! – Un regard communiste libertaire, 2018.
Où va le féminisme ?, 2020.
Ouvrages collectifs :
Pour en finir avec le travail salarié, OCL, 1997.
Libération des femmes et projet libertaire, OCL, 1998.
Brochure OCL téléchargeable en accès libre sur ocllibertaire.lautre.net :
Sortons des marais réformistes !, 2022.
« Anne » Lawrence, lui-même transfemme, l’a suffisamment démontré dans son livre Men trapped in men’s bodies (Des hommes prisonniers dans des corps d’hommes).