Sur un air de viol éthique
« Reconnaissons au moins que le viol est un acte répréhensible » Par Victoria Smith
Titre original, paru sur The Critic : « Reconnaissons au moins que le viol est un acte répréhensible » Par Victoria Smith
Les théories fondamentales du féminisme sont attaquées au sein même du féminisme
[Traduction commentée. Mes commentaires sont entre crochets et discutent des points de différence entre le féminisme radical et les pseudo-féminismes qui servent les intérêts sexuels masculins.]
Sur les réseaux sociaux, on est parfois confrontées à d’étranges successions de posts. Récemment, en scrollant sur X (anciennement Twitter), je suis tombée sur une vidéo figurant une coiffeuse qui demande à sa cliente la permission de lui toucher les cheveux. Le message de cette vidéo insiste sur l’importance du consentement, et ce, à tout moment, même s’il semble implicite dans cette situation – après tout, dès le moment où nous entrons dans un salon de coiffure, il y a de fortes chances que l’on nous touche les cheveux. Il est difficile de ne pas considérer ce genre de scène comme un exemple de post-#MeToo extrême. De nos jours, ne peut-on plus rien considérer comme allant de soi ? Chaque geste recèle-t-il une possible agression ?
Susan Brownmiller a joué un rôle dans l'ancrage de certaines perceptions fondamentales sur le viol, et qui sont aujourd’hui désapprises.
« La gauche a revendiqué un militantisme pro-consentement et anti-viol, et il lui arrive parfois de s’y prendre les pieds »
Cette vidéo était suivie d’une autre qui montrait une otage libérée par le Hamas après deux mois de captivité, et qui évoquait sa peur constante d'être violée. On présume que personne ne lui aura demandé pendant sa captivité si elle consentait à ce qu'on lui touche les cheveux. Les commentaires sous ce post – nombreux émanant de libéraux bien-pensants, ceux-là mêmes qui plussoyaient à la scène précédente – étaient remarquables. Mais alors, cela signifie que personne ne l'a violée, n'est-ce pas ? N'est-elle pas en train d'instrumentaliser une peur infondée pour justifier la maltraitance de Palestiniens innocents ? Des Israéliennes ont-elles seulement été violées le 7 octobre, puisque certaines ont été relâchées sans l’avoir été ?
La juxtaposition de ces vidéos était accidentelle, mais le contraste n'en est pas moins choquant. Elle illustre une crise du militantisme pro-consentement et anti-viol, une cause que la gauche a revendiquée comme sienne, mais qu’elle semble parfois regretter.
[Consentir, ce n’est pas désirer. Faites l’exercice dans votre tête, fermez les yeux. Vous consentez à ce que l’on vous étrangle pour un billet de 50 afin de faire vos courses cette semaine. (Et maintenant souvenez-vous que l’on parle de muqueuses internes fragiles et de vos entrailles.) Bien sûr, les personnes dont le confort moral dépend de l’illusion méritocrate ne verront pas le problème, persuadées que quiconque se retrouvant dans une telle situation « mérite » en réalité cette situation, qu’elle est de sa responsabilité. En matière de pauvreté, leur entendement est étranger à toute notion de caractère structurel, sauf lorsqu’il s’agira de traiter de l’Ennemi, l’Arabe, le Noir, le Juif, le Palestinien, les femmes.]
*
L'année prochaine marquera les 50 ans de la première publication de l'ouvrage polémique de Susan Brownmiller intitulé Against Our Will [« Contre notre volonté » traduit en français sous le titre Le Viol, aujourd’hui en rupture de stock, hors de prix chez les grands distributeurs dans la patrie occidentale des ministres Défenseurs du Viol, et qui mériterait une réédition]. Même si cet ouvrage a fait l’objet de controverses, Against Our Will a été considéré comme ayant eu un rôle transformateur à l’égard de nos perceptions des agressions sexuelles. [Un ouvrage avec des chiffres et rapports officiels qui fait l’objet de controverses. À mettre en parallèle avec le fait qu’Édouard Philippe a supprimé l’Observatoire des violences sexistes et sexuelles. Ce n’est pas l’ignorance des hommes (« il faut les éduquer »), qui perpétue les violences sexuelles, mais l’ignorance des femmes sur l’aspect systématique de ces violences sexuelles, qui les empêche d’en prendre conscience, de s’organiser massivement et de lutter contre.]
Brownmiller a joué un rôle dans l'ancrage de certaines perceptions fondamentales sur le viol, notamment le fait qu'il s'agit d'une arme de guerre, que la peur de l'agression fonctionne comme un moyen de contrôle sur toutes les femmes – « le fait que certains hommes violent », écrit-elle, « constitue une menace suffisante pour maintenir toutes les femmes dans un état constant d'intimidation » – et que l'expérience des femmes victimes d’agressions sexuelles ne devrait pas compter moins que le statut des hommes agresseurs dans les cercles gauchistes. [En France, nous sommes en plein dedans avec l’affaire Adrien Quatennens.]
[Il y a bien plus d’hommes qui violent que d’hommes qui ne violent pas. Nombreux sont les hommes qui restent dans la zone grise confortable du consentement et qui ne considèrent pas comme un viol le fait d’insister par la culpabilisation et la manipulation psychologique – sans violences physiques – pour que leurs compagnes “consentent” à un rapport dont elles n’ont pas envie, avant, pendant, et après l’acte. Ils prennent la résignation (le « consentement ») de celles-ci comme un pass d'immunité. C’est du viol, le bon vieux viol conjugal des familles. Ils ne veulent pas non plus entendre parler de l’excitation traumatique. Ils ont besoin de rester dans l’ignorance afin de continuer à consommer tranquillement de la pornographie – du viol filmé. Les raisons avancées par les hommes qui m’ont parlé de leur décision d’arrêter de consommer du porno étaient la crainte de devenir insensibles, la perte de la bonne fonction de leur membre, la crainte que cela les détraque d’une manière ou d’une autre lorsqu’ils se retrouvent au lit avec une femme en chair et en os. Et jamais parce que la pornographie déshumanise les femmes, jamais par empathie envers ces femmes sur lesquelles ils se branlaient. L’excitation traumatique est ce qui pousse les femmes hypertraumatisées – et qui survivent dans la prostitution et le porno, ou survivent à un conjoint violent – à dire qu’elles « aiment ça » (lorsqu’il ne s’agit tout bonnement pas d’un pur mensonge, dont leur vie dépend). L’alternative à l’excitation traumatique, sans accompagnement psy – hors de prix, inaccessible, étant donné l’absence de moyens pour les « parcours de sortie » de la loi 2016 – serait la prise de conscience brusque des violences et le suicide.
Au sujet des femmes promouvant les idées du “féminisme libéral”, Francine Sporenda, journaliste (Docteure, Maître de conf. en Sciences politiques), fait remarquer dans un commentaire sur les RS que : « si des femmes veulent garder leurs illusions (…) nous n'avons rien à dire tant que cela n'affecte que leurs comportements individuels. Par contre, en tant que féministes, nous devons déconstruire de telles absurdités quand ces femmes transposent ces stratégies en idéologie, et que leur propagation de ces croyances toxiques, en empoisonnant l'esprit des autres femmes, augmente leur exposition aux violences masculines. Une femme qui proclame publiquement que la prostitution, c'est fun et empouvoirant, que la maternité ou le couple, c'est indispensable et suprêmement épanouissant pour les femmes, attire délibérément d'autres femmes dans le traquenard dans lequel elle est tombée, et c'est inacceptable. »]
Aujourd'hui, je ne peux m'empêcher de penser que ces leçons n’ont pas tant été oubliées que délibérément désapprises. Nombreux·ses sont celles et ceux qui se sont investi·es dans des politiques « progressistes » en ayant considéré que le viol était un sujet de préoccupation capital, avant de faire marche arrière et s'en désintéresser, laissant sur leur passage une obsession résiduelle et performative pour la notion de consentement, et l’illustrant d’autant plus avec des scénarii à très faibles enjeux [« consentir à ce que la coiffeuse vous touche les cheveux »], voire inexistants. Méfiez-vous de votre coiffeuse, mais n’ayez crainte de votre kidnappeur terroriste.
Il y a quelques années encore, j'aurais dit qu’il s’agissait d’un débat interne au féminisme moderne sur la meilleure façon de lutter contre les violences sexuelles. Que ce débat était quelque chose de sain. Que toutes les réponses n’ont certes pas servi l’intérêt de toutes les femmes, et qu’un mouvement qui refuserait de faire son autocritique serait de toute manière voué à l'échec. Aujourd'hui, cependant, je crois que nous devrions nous demander si ce ne sont pas en réalité les fondements mêmes des théories féministes sur le viol qui sont attaquées, non seulement par les incels, l'extrême droite et Andrew Tate, mais aussi au sein même du féminisme.
[Sauf à considérer le « féminisme libéral » comme du féminisme, ce qui reviendrait à prendre le suprémacisme blanc pour de l’humanisme, le transhumanisme pour de l’écologie et les vessies pour des lanternes, ces attaques ne sont pas le fait de féministes, mais de femmes colonisées qui se prétendent féministes et d’hommes qui se prétendent femmes. Le « libféminisme » sert avant tout les intérêts sexuels des hommes, il s’agit donc d’un masculinisme. Que des femmes tiennent des discours pro-exploitation sexuelle, dans une stratégie individualiste de survie économique et sociale, ne signifie pas qu’il s’agit de féminisme. Ce n’est pas parce qu’une femme dit quelque chose que son propos est féministe. La plupart des femmes auxquelles le patriarcat traditionnel (ou progressiste) tend le micro ne menacent pas réellement le patriarcat. Elles servent d’abord leurs intérêts propres et immédiats. Elles servent ensuite les intérêts des hommes qui les protègent contre d’autres hommes relativement pires. Entre deux maux, le moindre. En France, ce phénomène est flagrant et s’illustre avec de jeunes femmes ayant subi des harcèlements massifs, avec d’un côté des menaces de viol et de mort de la part d’hommes « progressistes » (les transactivistes, ces hommes atteints de pathologies sexuelles telles que l’autogynéphilie et que leur mouvement tente de normaliser sous la notion d’identité de genre), et d’un autre côté, de la part d’hommes conservateurs fondamentalistes (religieux islamistes). À noter que ces mouvements masculinistes ne sont que deux faces d’une même spiritualité patriarcale, s’appuyant sur des idéologies dualistes de séparation corps/esprit. La violence des hommes contre les femmes, peu importe les idéologies religieuses et politiques dont ils se revendiquent, profite à tous les hommes. Sans violence masculine, les femmes ne chercheraient pas la protection d’autres hommes. La violence masculine, en fabriquant des femmes dépendantes des hommes et colonisées par leurs idéologies, assure leur asservissement en les empêchant de développer une conscience féministe de classe et en les montant les unes contre les autres. Les femmes qui se targuent d’avoir auprès d’elle un homme gentil, pas comme les autres, et qui se disent tellement chanceuses. Qui se désignent par ce fait plus méritantes que toutes ces autres, qui n’ont que des hommes patriarcaux ou des minimaux-syndicalistes en décence humaine sans aucun attrait spécifique, sinon leur minimum syndical, les faisant passer pour des hommes exceptionnels au milieu de la masse (« j'aime mon mari, il ne me bat pas »), ou ces femmes qui, faute de failles traumatiques rémanentes pouvant les pousser dans les bras d’imbéciles et leur faire prendre des violeurs ou des entitrés syndicaux pour des lumières, vivent hors de leur compagnie. Mais c’est bien sûr parce que quelque chose va de travers chez ces femmes, et non que la société patriarcale soit néfaste. Rien à voir avec les violences masculines systémiques, voyons ! C’est juste qu’elles n’ont pas de chance. Phénomène désigné sous le hashtag #NotMyNigel, une version individualisée de NAMALT. Leur loyauté va d’abord aux hommes qui leur assurent un statut social de respectabilité et d’insertion, et les protégeront contre d’autres hommes pires qu’eux — relativement.]
Le cœur de l'activisme anti-viol est dévoré par une incohérence flagrante. L’on y rencontre une obsession avec les « traumatismes », mais seulement dans les cas où nous serions sûres de ne pas les instrumentaliser [weaponised, brandir comme une arme] ou, le cas échéant, où nous nous assurerions de les instrumentaliser contre les bonnes cibles (le politicien de droite, et pas le combattant de la liberté de gauche).
D'une part, les étudiant·es réclament des « espaces sûrs » (safe spaces) dans lesquels se réfugier, selon le New York Times, « remplis de biscuits, de livres à colorier, de bulles, de pâte à modeler, de musiques apaisantes, d'oreillers, de couvertures et de vidéos de petits chiots qui jouent », au cas où ils et elles viendraient à croiser sur le campus une personne qui parlerait de viol d'une manière qui ne leur revient pas. D'autre part, un nombre croissant de diplômés se consacrent corps et âme à expliquer au reste du monde pourquoi les espaces réservés aux femmes ne sont plus nécessaires, pourquoi les lesbiennes doivent surmonter leurs « préférences génitales » et pourquoi quelqu'un qui sort son pénis dans les toilettes pour femmes n’est pas un exhibitionniste sexuel, à moins qu'il ne l’ait spécifiquement mentionné.
Déplacer l’attention sur les détails mineurs du consentement et des micro « traumatismes » n'a pas seulement donné aux conservateurs une excuse pour présenter l'activisme anti-viol comme extrémiste et infantilisant. C'est même devenu une distraction, alors que les fondements de la pensée féministe s'écroulent. Le responsable mâle d'une organisation écossaise de lutte contre le viol a dit aux femmes victimes de viol de « réajuster leurs traumatismes ». [Il s’agit évidemment d’un AGP, un homme au cerveau rempli de sissy porn dont le fantasme ultime est d’imaginer qu’il est une femme en train de subir un viol.]
Un criminel sexuel condamné s'exhibe devant une jeune fille dans un spa de Los Angeles, et la plus grande crainte du Guardian est que la moindre discussion débouche sur de la « haine anti-trans ». Le journaliste Owen Jones visionne les images des atrocités du 7 octobre et se demande s'il est finalement possible de savoir avec certitude si une femme au corps massacré, dont les sous-vêtements ont été arrachés, a réellement été violée. Et ces gens-là se disent que la pâte à modeler et les petits chiots dans les safe spaces, c’est vraiment génial. Tout ceci est absurde, démentiel. Pourtant, il y a une logique à l’œuvre derrière.
L'une des choses les plus frappantes dans Against Our Will est de constater à quel point les descriptions rapportées par Brownmiller, des attitudes de la gauche à l'égard du viol à l’époque reflètent celles qui se font passer aujourd'hui pour le fleuron du progressisme. Elle se souvient du « choc subi par les libéraux [les progressistes] » lorsqu'elle a abordé le sujet pour la première fois : « Je me souviens des regards incrédules et des attaques : “Vous êtes du côté de l’accusation (prosecussion)”, comme si cela constituait en soi une preuve de racisme et d’idée réactionnaire. »
[Alors oui, pour les progressistes de type « social justice warriors », il y a une longue chaîne de transitivité menant de la dénonciation du viol au racisme. C’est avec les mêmes sophismes que les TRA autogynéphiles et leurs symbiotes accusent aujourd’hui les féministes radicales d’être d’extrême droite. Nous dénonçons leur idéologie misogyne (au-delà du fameux « protégeons les enfants » qui rassemble les parents de tous bords). De nombreux·es individu·es se sont mis·es à me suivre, à travers mon combat contre le transactivisme, avant de réaliser — horreur — que j’étais une féministe radicale. Une féministe socialiste. De gauche. Et que je luttais donc contre la misogynie et les violences sexuelles sous toutes leurs formes (à paillettes, en habits religieux et en bottes grises), lesquelles ne connaissent pas de frontières politiques.]
Cinquante ans après la sortie de Against Our Will, manifester contre le viol est à nouveau considéré comme quelque chose de réactionnaire, du moins lorsque la victime de viol demande une reconnaissance, une réparation et réaffirme ses propres limites, au lieu de se contenter de peluches, de coussins et de GIF d'animaux mignons.
Nombreuses sont les personnes de gauche à avoir accepté en principe les arguments du féminisme de la deuxième vague sur le sexe, le pouvoir et le consentement — du moins concernant les Harvey Weinstein et les Donald Trump. Le problème est qu’ils ont en même temps avalé diverses théories et positions qui entrent directement en contradiction avec ces arguments. Tout comme le militantisme trans a rendu inacceptable l’analyse féministe qui dénonce le genre comme une hiérarchie socio-sexuelle, de nombreux éléments essentiels à l’activisme moderne pour la justice sociale ont rendu la position féministe sur le viol intenable. [Cet activisme moderne est celui qui traite de SWERF les survivantes de la prostitution.]
En effet, nous sommes fortement encouragées à croire que le sexe biologique est indéfinissable et que les pénis ne sont que des bouts de chair arbitraires accrochés par hasard sur des corps ; que les limites sont — par principe — fascistes ; que le problème de la notion de féminité [femininity, le stéréotype sexiste] n'est pas qu'elle considère que les femmes sont naturellement masochistes, mais que ce masochisme soit « stigmatisé » ; que le « travail sexuel » [la prostitution/le proxénétisme] est un travail comme les autres ; que les véritables accusations de viol sont des armes de la suprématie blanche au même titre que les fausses accusations [un mythe qui sert les hommes] ; que punir les violeurs revient à se rendre complices du « vrai » patriarcat ; et que les femmes réacs aiment à prétendre que leurs phobies irrationnelles sont des craintes légitimes [« panique morale »].
Des ouvrages récents tels que Females d'Andrea Long Chu, Me, Not You d'Alison Phipps, Full Surrogacy Now de Sophie Lewis et The Right to Sex d'Amia Srinivasan, les auteur et autrices font mumuse avec ces idées, souvent de manière fallacieuse, en se contentant de poser des questions. Ce qu'il et elles se gardent d’admettre (sauf peut-être dans le cas de Long Chu), c'est qu'une décision fondamentale a déjà été prise. Que doit-on faire passer en premier : lutter contre le viol ou défendre le porno et l’industrie du sexe non règlementés ?
[Le porno et l’exploitation sexuelle « règlementés », c’est de la novlangue libfem. L’esclavage règlementé, ça passe ? Le travail des enfants règlementé ? Oui, non ? Cela montre les concessions que les féministes, au pied du mur, sont prêtes à faire pour obtenir des miettes de droits humains, les droits « des hommes ».]
Cette décision s'accompagne de toutes sortes d'arguments prétendument nuancés (« mettre fin à la stigmatisation » est un de leurs préférés). Mais au final, l’idée défendue est que la « liberté » doit être privilégiée, indépendamment des conséquences pour les corps et les vies concernées. [La liberté de violer, la liberté de tuer, la liberté d’exploiter sexuellement des enfants, la liberté de mutiler, la liberté d’attenter à l’intégrité physique et psychique des femmes, vous l’avez compris, il s’agit avant tout de la liberté des hommes de faire ce qu’ils veulent avec leur pénis au détriment des femmes et des enfants. Voir aussi cet article.]
« Une politique féministe qui considère la punition des hommes mauvais comme son principal objectif ne sera jamais un féminisme qui libère toutes les femmes », écrit Srinivasan, comme si les féministes qui l’ont précédée étaient des revanchardes un peu simples d’esprit. C'est une élégante manière d'éviter le cœur du problème, qui n'est pas une question de vengeance, mais d'humanité fondamentale. La criminalisation du viol conjugal en 1991 [1994 en France, la honte] n'a pas conduit à la punition d'un nombre infini « d’hommes mauvais », mais elle a fondamentalement changé le statut des épouses. [En reconnaissant leur « personne humaine », leur droit à l’intégrité physique et morale sur leur propre personne.]
[Beaucoup de femmes qui s’identifient comme féministes ignorent que les avancées obtenues par nos aïeules n'ont pas été faites grâce à de beaux discours adressés à la raison et à l’humanité présupposées des hommes, mais en explosant des vitrines à coups de bombes, en mettant le feu et en étant jetées en prison (et tuées en manifestation). Les hommes n’ont aucune raison de renoncer à leur pouvoir et à leurs privilèges, tout comme les esclavagistes et les nobles n’en avaient pas plus de renoncer aux leurs. C’est par la force qu’ils ont été contraints (lapalissade nécessaire) d’accepter la fin de l’esclavagisme ou la fin de la monarchie. L’histoire du féminisme nous montre qu’il n’en est pas allé autrement vis-à-vis des femmes. Il est illusoire de croire que les hommes ne sont sexistes et violents envers les femmes que parce qu’ils manquent d’éducation. Les nazis ne manquaient pas d’éducation, cela ne les a pas empêchés d’être des nazis. La raison pour laquelle ils sont sexistes et violents envers les femmes est que cela leur apporte d’incommensurables bénéfices, plus de bénéfices que des relations égalitaires et respectueuses. Leur empathie compartimentée envers nous est une adaptation psychosociale. En sociétés stratifiées industrielles, ils n’ont aucun intérêt à perdre leur pouvoir.
Si les femmes se mettaient en grève générale des ventres, en grève générale du sexe et de leur travail gratuit, ils seraient forcés de faire quelque chose. Bien sûr, cela déboucherait immédiatement sur une recrudescence de viols et de fémicides (Pensez-vous qu’une révolution non violente soit possible ? Renseignez-vous sur les réalités derrière le mythe et sur le type de pouvoir que ce mythe a servi). Très rapidement, ce serait la guerre civile. Nul besoin de mettre le feu ou de poser des bombes devant les locaux gouvernementaux comme l’ont fait nos aïeules, seulement de leur dire NON.
Une grève générale des femmes (du sexe, des ventres et du travail gratuit, entraînant un blocage du fonctionnement du pays) ferait ressortir le profit et la réalité pratique de la domination masculine et de ses organes structurels (pas si masqués que cela, quiconque s’intéresse aux chiffres officiels, pour peu qu’ils existent encore, peut en prendre conscience ; autrement, vous pouvez toujours lire Femmes invisibles). S’ensuivrait l’expression immédiate du contrôle et de la violence des hommes envers les grévistes. Les « moins mauvais », ceux qui ont une once de décence humaine (recevant déjà des cookies pour manifester le minimum syndical d’humanité envers les femmes), seraient forcés de sortir de leur léthargie complice. Les choses changeraient drastiquement, au lieu d’avancer à des vitesses tellement minérales que c’en est ridicule, pour ne pas dire meurtrier.
Mais les femmes contemporaines, championnes de l’oppression intériorisée, la seule classe dominée encouragée à aimer et à reproduire son oppresseur, conditionnée à aimer et servir ses maîtres (féministes, mais pas trop), sont engourdies par les messages contradictoires que leur délivre d’un côté une culture médiatique puissante, qui tisse les mythes de l’amour romantique et de la féminité stéréotypique, et de l’autre, la réalité des violences sexuelles et sexistes et des inégalités économiques flagrantes. Elles ne peuvent que voguer de Charybde en Scylla*.
*(qui est au passage, une métaphore misogyne des mythographes patriarcaux grecs en croisade contre les figures des grandes déesses de la naissance, de mort et de la régénération.)]
Il est stupéfiant de constater que l’opposition au viol est devenue politiquement coûteuse — ou, pour certain·es, tout simplement trop dérangeante pour être reconnue. Un héritage féministe essentiel est en train d’être dénaturé et remisé, et ce sont les femmes elles-mêmes qui y perdent.
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« Lorsque le mouvement des femmes a commencé à parler du viol comme d'un problème féministe », écrit Brownmiller, « les femmes qui s'identifiaient encore à la gauche masculine ont réagi comme leurs frères, par l'incompréhension ou l'hostilité ». Ce qui aujourd’hui semble être un progrès cache en réalité une régression de cinquante ans. Dans ce contexte, #MeToo n'est pas tant un nouveau pas en avant qu’une tournée d'adieu au féminisme.
C'était bien pendant que ça durait, mais nous [« nous »] avons opéré un tour complet en revenant au viol comme s’il s’agissait au mieux d’un embarras politique, au pire de quelque chose dont il faut à tout prix empêcher les victimes de retourner contre « leur camp » (que ce camp soit le mari, la cellule familiale au sens large, la communauté religieuse, ou « la gauche/droite » dans son ensemble).
Je ne suis pas en train de suggérer que tous les gestes mineurs visant à promouvoir une culture du consentement sont dénués de valeur. Mais si c'est là tout ce que la gauche est prête à faire — des tentatives d’affairement ostentatoire et que leurs adversaires politiques leur reprocheront ensuite comme étant du féminisme « qui va trop loin », alors la gauche fait plus de mal que de bien. [Dès le moment où la gauche s’est déclarée pro-exploitation sexuelle, pro GPA et pro-normalisation des pathologies sexuelles masculines (identité de genre), il n’y avait plus grand-chose à en attendre, non ?] On a l’impression que le fait de se concentrer sur les petits détails, comme poser un avertissement sur la couverture d’un roman du XIXe au sujet de son contenu, nous donne le droit d’ignorer le tableau dans son ensemble : le corps nu qui s’exhibe devant vous, les viols massifs dans une zone de guerre, une industrie planétaire consacrée à l'asservissement sexuel des femmes. Cela ne suffit pas.
Reconstruire l'activisme anti-viol est d’autant plus difficile que son démantèlement s’est opéré avec le vocabulaire et les notions du féminisme. [cf. « Mon corps, mon choix » aujourd’hui récupéré par l’antiféminisme comme le libre choix d’être exploitée, incestée, prostituée, etc. Oui, les mêmes arguments étoffent l’activisme pédocriminel, détournant le focus sur les pathologies sexuelles masculines vers la construction mythique de désirs infantiles commensurables à ceux des adultes.] Les attitudes dénoncées par Brownmiller dans les années soixante-dix sont aujourd'hui présentées comme des idées novatrices et inédites sur le sexe et le pouvoir, qui auraient échappé aux féministes précédentes. Mais ce n'est pas le cas — elles avaient simplement insisté sur l’importance de la prise en compte du point de vue des victimes. Il n'y a rien de démodé, de régressif ou de simpliste à reconnaître que les victimes de viol sont aussi des sujets. Tel devrait être le point de départ de notre politique. Si nous devons repartir de là, qu'il en soit ainsi, mais il vaut mieux le faire assez vite.
[Ah, je ne cesserai de m’étonner devant la capacité des femmes à s’écraser et à demander très poliment des miettes de droits humains. V. Smith traite du viol. Des victimes de viol. Et avec une élégance et une humilité qui frisent l’absurde (mais en connaissance du style de l’autrice, certainement est-ce un effet voulu), elle en est presque à s’excuser de devoir rappeler que, quand même, il ne faudrait pas que les universitaires « queer » perchés dans leur tour d’ivoire déconnectée des réalités quotidiennes de la majorité des femmes (qui par leur travail gratuit et leurs impôts, financent l’oisiveté de ces tas d’imbéciles) oublient d’écouter les femmes victimes de viol. Messieurs et mesdames les universitaires, pensez à écouter les victimes de viol quand vous vous masturbez intellectuellement et littéralement dans vos départements de socio et de philo (avez-vous déjà entendu parler de Florian Voros, ex-membre du Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes ?). Au milieu d’une culture qui n’a jamais été à ce point pornographique et déshumanisante pour les filles et les femmes, la politesse et les joliesses oratoires visant à ne pas trop fâcher les hommes et ainsi avoir une chance d’être lue et publiée, sont tout bonnement accablantes.]